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leurs récits, c’était un tremplin à l’élan du son agile imagination, rien d’autre : il serait malséant d’insinuer qu’il fut en cela merveilleusement servi par son ignorance ; mais on peut affirmer en toute certitude que son trop de savoir ne l’embarrassa jamais. Là où un chartiste prudent eût été ankylosé par le scrupule, il donnait, sur un mot, libre cours à sa fougue créatrice et n’hésitait pas à résoudre, sans l’aide incommodante des documents, les questions les plus discutées.

Et, — respect de la science historique mis à part, — c’est par cela, peut-être, que le romancier mérite d’être prisé davantage : sa clarté de vision et sa puissance de discernement étaient telles qu’il créait, en quelque sorte, de la vérité. C’est, a-t-on dit, le don de divination qui constitue le poète et l’artiste véritables : or, on citerait tel chapitre du Comte de Monte-Cristo où sont mis en scène, gravitant autour de Louis XVIII. certains personnages d’invention, — bonapartistes complotant le retour du prisonnier de l’Ile d’Elbe, — et où sont dépeintes l’attente anxieuse du grand événement et les dramatiques intrigues qui le préparèrent, — chapitres dont le ton de réalité ne serait pas surpassé si Dumas s’était, pour les composer, doctement inspiré des Mémoires de Pons, de Saint-Chamans, de Pasquier, de Fleury de Chaboulon et de tant d’autres publiés bien postérieurement à son roman. Il accommode les faits aux exigences de sa fable ; mais ce qu’on appelait de son temps « la couleur locale, » ce que nous nommons aujourd’hui « l’atmosphère, » est reconstitué avec une vigueur de pénétration singulièrement surprenante par cet évocateur qui, Sisyphe roulant sans cesse son rocher, n’avait le temps ni de lire ni même de s’informer. Un écrivain qui, pourtant, ne témoigne aucune tendresse au directeur du Mousquetaire dont il fut l’un des rédacteurs, proclamait que « la description de la prise de la Bastille dans Ange Pitou est bien supérieure à celle de Michelet, » et les cent premières pages du Chevalier de Maison-Rouge produisent une impression si saisissante de la vie de Paris durant la Terreur qu’aucun historien n’a atteint ce degré d’intensité.

Comment donc Dumas procédait-il ? Bien superficiellement. Pour ce même Chevalier de Maison-Rouge, un de ses chefs-d’œuvre, nous sommes, sur ses manières de préparation, à peu près renseignés. D’après les indications, forcément très sommaires, de l’un de ces érudits qui lui « soufflaient » des