Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/872

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un contrôle des Mousquetaires, car il y aurait constaté qu’Athos était mort avant l’entrée de d’Artagnan dans ce corps d’élite et qu’Aramis et Porthos ne durent pas l’y connaître bien longtemps. Singulière destinée que celle de ces quatre gentilshommes béarnais : malgré leur noblesse, leurs bons services, leur bravoure, leurs exploits belliqueux ou galants, et toute la peine qu’ils se donnèrent pour faire leur chemin dans le monde, ils seraient à tout jamais ignorés si, deux siècles plus tard, n’était passé un artiste que leurs noms amusent : il invente une fable où tous quatre jouent un rôle, et les voilà pour toujours fameux, non pour les prouesses qu’ils ont accomplies, mais pour celles que leur prête sa fantaisie. Et chacun d’eux sera connu de la postérité, non pas encore sous sa physionomie véritable, mais tel qu’il aura plu à l’écrivain de le façonner : l’un symbolisera la jeunesse, l’entrain, la vaillance ; l’autre, l’astuce et la finesse ; le troisième, la loyauté ; le dernier, la force… Admirable pouvoir du génie qui, d’éphémères existences humaines, crée par amusement de l’indestructible.

Dumas, d’ailleurs, n’emprunte pas que leurs noms à l’ouvrage de Courtilz de Sandras : il s’en inspire également pour certains épisodes : celui, entre autres, du voyage de d’Artagnan arrivant de sa province à Paris, si pauvre que « ses parents n’ont pu lui donner qu’un bidet de vingt-deux francs avec dix écus pour sa route, mais, en revanche, quantité de bons avis, lui remontrant de prendre bien garde à ne jamais faire de lâchetés, parce que si cela lui arrivait une fois, il n’en reviendrait de sa vie. » On lui vole en chemin son bidet, sa bourse et son mince bagage, ainsi que la seule lettre de recommandation dont il est porteur. C’est sur ce point de départ que Dumas se prit pour son héros d’une sorte d’affection attendrie : on sait quel parti il allait tirer de ce maigre texte, quelle frondaison touffue allait germer et sortir de cette pauvre graine jetée en son esprit fécondant. Il y a aussi, dans les Mémoires de M. d’Artagnan, beaucoup de duels ; des missions en Angleterre : une certaine femme de cabaretier en laquelle on reconnaît Mme Bonacieux ; une intrigue avec Milady X… Mais ce n’est point sur ces ressemblances qu’il est possible de fonder une accusation de plagiat : l’œuvre de Dumas diffère totalement du récit de Courtilz, tant par la conduite et l’enchainement des aventures que par le mouvement, la variété, l’entrain de la