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narration, l’allure et le ton des personnages, et surtout, — qui le croirait ? — par l’exactitude de la couleur locale. Eh ! oui : voilà le prodige : des deux écrivains, c’est le contemporain, bien renseigné des événements, qui semble n’avoir pas su « voir ; » et c’est l’autre, l’ignorant, venu deux cents ans plus tard, qui va nous restituer « l’ambiance » de ses héros avec une vérité de convention si puissante qu’elle s’impose, entraine et persuade. Il paraît bien que Dumas s’était pénétré de Tallemant des Réaux, car on reconnaît çà et là dans son œuvre des traits manifestement empruntés aux Historiettes. Ou bien ne puisait-il pas, moins savamment encore, sa fragile documentation dans un ouvrage publié de son temps, en 1832, chez Gosselin, et qui a pour titre : Intrigues politiques et galantes de la Cour de France sous Charles IX, Louis XIII, Louis XIV, le Régent et Louis XV mises en comédies par Ant.-Marie Rœderer, ancien préfet ? Cette rapsodie historico-théâtrale était bien faite pour satisfaire très largement la rapide et superficielle curiosité du bon Dumas ; et ce qui donnerait à penser qu’il l’utilisa, c’est que, en une des comédies de l’ancien préfet Rœderer, les Aiguillettes d’Anne d’Autriche, on voit Buckingham s’emparant par surprise des ferrets de diamants de la Heine, qu’il restitue par crainte du scandale. Ceci ressemble beaucoup, tout au moins par le thème, à certain épisode des Trois Mousquetaires…

Mais à quel labeur illusoire est-ce s’astreindre ? Étudier Dumas historien et rechercher quels ont pu être ses sources et ses procédés de mise en œuvre, serait un amusement puéril dénué de tout intérêt, s’il ne conduisait à apprécier davantage la plantureuse opulence de son imagination et l’étonnante divination qui lui tient lieu de savoir. S’imposait-il une règle ? Suivait-il une méthode ? Allons donc ! Il allait au hasard de son humeur et de sa prédilection du moment. Dans l’un de ses romans historiques, et non l’un des meilleurs, Ange Pitou, après certains chapitres manifestement très caressés, il se lasse et, tout à coup, l’intrigue à peine nouée, pressé d’en finir, il se débarrasse en quelques lignes de tous ses personnages. Avant d’écrire le Collier de la Reine, il ne prendra même pas le temps d’aller jusqu’à Versailles visiter les galeries et les appartements, théâtres des principales scènes de son récit, abstention qui l’expose à commettre des méprises singulières. En revanche, sur le simple projet de placier l’événement de Varennes dans