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Ce dieu que nous avons nourri d’encens ne serait plus qu’un lazarone effronté qui se chaufferait à notre soleil ?… » Jacquot terminait en émettant le vœu que « le Comité de la Société déclarât qu’elle ne croit pas, qu’elle ne veut pas croire aux bruits qui circulent et qu’il est de sa dignité comme de son honneur de les taxer de calomnies. » Basile n’eût pas mieux fait.

La Société des gens de lettres montra fort peu d’entrain à s’engager dans la voix tortueuse qui lui était indiquée : elle se contenta, le lendemain, de voter l’urgence d’une réglementation de la collaboration littéraire. Mirecourt, perdu s’il reculait, joua d’audace, et, se croyant tacitement soutenu par le président de la Société, le vieux Viennet, un de ces classiques attardés qu’avait, seize ans auparavant, assommés le coup de massue de Henri III, publia sous ce titre : Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et compagnie, un pamphlet auquel son nom devra une indésirable notoriété. Son thème est catégorique : il se résume en ceci : « Dumas n’a pas d’imagination ; tout ce qu’il produit est audacieusement pillé, acheté ou volé à des confrères de grand talent, mais faméliques, réduits par le besoin à passer sous le joug du tyran et à subir ses conditions. » Et il énumère : Henri III est de Pierre de l’Estoile ; Téréza est d’Anicet-Bourgeois ; Mademoiselle de Belle-Isle est de Brunswick ; les Trois Mousquetaires est de Maquet ; Monte-Cristo est de Fiorentino ; Georges est de Mallefille ; une Fille du Régent est de Couailhac ; Amaury est de Paul Meurice ; la Tour de Nesle est de Gaillardet ; Antony est d’Émile Souvestre… ainsi du reste. Dumas achète les manuscrits à 250 francs le volume et les revend dix mille francs. Voilà le fait. Il livre la marchandise à l’imprimeur sans même se donner la peine d’en prendre connaissance et de vérifier si son fournisseur l’a bien servi. Du moins, c’est à ce trafic imprudent qu’il s’est livré durant des années ; mais, « à partir du jour où l’on soupçonna l’établissement de sa fabrique, notre homme recourut à son ancien talent d’expéditionnaire, afin de rassurer les journaux et les éditeurs qui commençaient à jeter ce cri d’alarme. Il recopia tout avec une dextérité merveilleuse. Aujourd’hui sa besogne est beaucoup moins fatigante, attendu que, par un étrange et nouveau caprice du hasard, M. Dumas fils possède une écriture absolument identique à celle de son père… »