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Et le pamphlétaire .se comptait à nous montrer les deux Dumas, — les deux Dumas ! — copiant avec acharnement pour s’en faire des rentes les œuvres géniales des Durieu, des Goubaux, des Beudin, des Gaillardet, des Bourgeois, des Laverdan et de bien d’autres dont les noms seraient allés aux nues sans la gloutonnerie du Minotaure auquel, trop modestes, ces auteurs s’immolaient. On aurait pu s’étonner qu’aucun d’eux n’eût joué à Dumas le tour de se révolter et de produire personnellement un livre égal à Joseph Balsamo ou une comédie aussi pimpante que les Demoiselles de Saint-Cyr : mais l’attention de la galerie s’attacha surtout à deux lettres précédemment écrites par Mirecourt à Dumas, auquel il proposait « une affaire importante : « il s’agissait de lui vendre un roman ! Dumas n’avait pas daigné répondre, d’où la rage de Jacquot ; il essaya de s’en tirer en alléguant que cette proposition, très louche, était un piège par lui tendu à l’Ogre qui, mis en garde, avait, cette fois, refusé le chef-d’œuvre : l’incident se termina devant la justice . le pamphlétaire fut condamné à six mois de prison. Après d’autres tentatives aussi risquées et quelques aventures moins retentissantes, il disparut, et le bruit courut qu’il s’était enfoui à la Trappe !

Pour lourde et maladroite qu’elle fût, la calomnie avait fait son chemin : il y a par le monde tant de sots oisifs, qui, soucieux de paraître très avertis des dessous de la vie parisienne, accueillent avec frénésie les commérages que l’envie répand sur le compte des célébrités contemporaines ! À cette époque où la province était plus loin du boulevard qu’elle ne l’est aujourd’hui, on y était convaincu que Mme Sand se promenait à cheval, habillée en homme, à travers Paris, en compagnie de M. de Lamennais habillé en femme, et que tout le talent de Meissonier se bornait à colorier des daguerréotypes… Octave Feuillet, vivant à Saint-Lô, y connaissait un de ces jobards, haineux de tout ce qui s’élève ; cet odieux bourgeois assurait savoir « de bonne source » qu’Alexandre Dumas tenait ses caves remplies de jeunes manœuvres occupés à composer des romans, tandis qu’il sablait le champagne avec des actrices aux étages supérieurs. C’était là l’écho, déformé, du pamphlet Mirecourt. Certains même, mieux renseignés encore, affirmaient qu’Alexandre Dumas n’existait pas : ce nom illustre était une « raison sociale, » une spéculation de librairie, imaginée par