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ce qui mit le comble à sa joie : polémique, procès, duel, rien ne manqua à la publicité. Et, dans un village des environs de Montmorency subsiste encore aujourd’hui un vestige de ce retentissant démêlé : on lit, sur le pignon du principal estaminet de l’endroit, ces mots en manière d’enseigne : à la Tour de Nesle, et, sur la fontaine voisine, quatre vers apprennent au passant que Gaillardet fut le châtelain du lieu. Très galant homme, d’ailleurs, et vite retiré de la mêlée littéraire, il exigeait lui-même, trente ans après la tumultueuse représentation du drame, que le nom de Dumas figurât désormais à côté du sien sur l’affiche, « tenant à prouver, écrivait-il, que j’ai oublié nos vieilles querelles pour me souvenir uniquement de la grande part que son incomparable talent eut dans le succès de la Tour de Nesle. »

Ce cas très spécial excepté, on peut, je pense, affirmer que le rôle des autres collaborateurs de Dumas se bornait à celui de simples indicateurs. De l’un d’eux on possède les confidences : c’est le savant Paul Lacroix, connu comme bénédictin de lettres sous le pseudonyme du bibliophile Jacob. Et voici ce qu’il contait, certain jour, à M. Octave Uzanne : « Je suis un excellent « carcassier ; » il semble que je sois né pour faire des scénarios et bâtir des charpentes romantiques. Lors de mes rapports avec Dumas, non seulement je lui établissais le sujet de la plupart de ses romans d’aventures, mais encore j’habillais ses personnages, je les promenais à travers le vieux Paris ou dans les provinces françaises à différentes époques. Dumas était à chaque instant gêné pour donner un semblant d’exactitude à ses descriptions archéologiques ; aussi m’envoyait-il ses secrétaires en toute hâte, tantôt me demandant l’aspect minutieusement détaillé du Louvre et de ses approches en 1600 ou 1630, tantôt m’implorant pour une esquisse du Palais-Royal en l’an VIII. J’ajoutais des héquets à ses manuscrits, je révisais ses épreuves, j’apportais partout un peu de lumière historique, j’écrivais des chapitres entiers… » Le bibliophile, au reste, aimait et admirait profondément Dumas : il ne se plaignit jamais d’avoir été « exploité. » L’architecte Charles Robelin, le restaurateur des basiliques de Reims et de Saint-Denis, avait assisté de même Victor Hugo en lui fournissant toute la documentation architectonographique et « moyenâgeuse » de Notre-Dame de Paris, collaboration importante et manifeste dont