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genre et dussé-je paraître paradoxal, j’avouerai ne pas démêler si, en toutes ros associations, ce n’est pas Dumas qui fut « l’exploité. » Il se montra toujours si pitoyable calculateur, si peu intéressé, si facile à duper, si porté à s’attendrir ; il s’efforçait si bien, a dit quelqu’un qui l’a beaucoup connu, « à faire valoir ceux-là même qui riaient de lui, » qu’il peut bien avoir exagéré la part due à ses auxiliaires et ne point s’être aperçu que ceux-ci faisaient monnaie de sa gloire et de son grand nom. Je sais bien que Quérard demeure et que son verdict fait loi : à l’en croire, il n’y aurait presque rien de personnel dans l’œuvre d’Alexandre Dumas. Les bibliographes sont inflexibles. Ils ont pour habitude de rendre des jugements sans considérants. Lorsqu’ils ont noie exactement le titre d’un livre, sa date, son format, le nombre de ses éditions, ainsi que les bavardages imprimés auxquels la publication a donné l’essor, leur besogne est terminée : ils n’ont pas le temps et n’éprouvent point la curiosité d’ouvrir le volume qu’ils se bornent à décrire, et de prendre connaissance de son contenu où ils trouveraient cependant certaines lumières. Il est aisé d’affirmer, comme l’a fait Quérard, que « la première partie de Monte-Cristo a été composée par Fiorentino et la seconde par Auguste Maquet, » mais il serait moins commode d’expliquer comment ces deux auteurs, — dont il n’est pas question de mettre en doute les mérites personnels, — se sont trouvés subitement, par le seul fait d’accomplir sur commande cette besogne mercenaire, en possession de dons précieux, tels que la verve, la sincérité, le naturel du dialogue, la rapidité du récit, l’art puissant de la mise en scène, la science de capter et de retenir l’attention, toutes qualités particulières à Dumas pour lequel ils travaillaient et dont ils se trouvaient, en grande partie, dépourvus lorsqu’ils écrivaient pour leur propre compte.


Car, comme tout bon produit, le Dumas, il faut y insister, porte sa marque : l’œuvre est si semblable à l’homme qu’il est impossible de les dissocier. On retrouve en tous ses récits cette impétuosité dont il était doué et « qui avait, dit Du Camp, des éruptions de volcan. » Sa lave pouvait couler toujours. On y reconnaît aussi, et à chaque page, cette bonne humeur qui lui tient lieu de philosophie, cet enthousiasme d’adolescent qu’il