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César. » « Etes-vous archéologue ? lui demande le professeur. — Moi ! Je ne suis absolument rien : je connais César comme tout le monde… un peu mieux peut-être. — À quel titre ? — Au titre d’historien de César. » Il avait publié, en effet, dans sa série des Grands Hommes en robe de chambre, un César en sept volumes édité par Cadot, en 1858. « Vous avez écrit une histoire de César ? demande le pédagogue un peu surpris. — Oui, pourquoi pas ? — Vous ne m’en voudrez pas de ma franchise ; mais je ne l’ai jamais entendu citer dans le monde des savants. — Le monde des savants ne me cite jamais. — Cependant… une histoire de César aurait dû faire quelque sensation. — La mienne n’en a fait aucune : les gens la lisent, et c’est tout. Ce sont les livres impossibles à lire qui font sensation : ils sont comme les diners qu’on ne peut pas digérer : ceux qu’on digère sont oubliés le lendemain matin… »

Comme il haïssait la solennité, on l’accusait de manquer de tenue ; comme il avait infiniment d’esprit, on l’accusait d’être léger ; comme il produisait avec une facilité miraculeuse, on l’accusait de gâcher la besogne. On fut injuste envers ce grand amuseur, « fougueux, puissant, irrésistible comme un torrent débordé ; » et aujourd’hui encore il se rencontre des délicats qui se montrent assez dédaigneux de son œuvre, lui reprochant son défaut de profondeur et son style peu châtié. Eh ! sans doute ! Dumas ne recherchait point la forme irréprochable ambitionnée par les prosateurs d’à présent : il ignorait le mot rare et « l’écriture artiste. » Si le vieux précepte disait vrai : — « le style est l’ordre et le mouvement qu’on met dans sa pensée, » — Dumas serait un grand écrivain, car il possède au plus haut point ces deux qualités ; mais « bien écrire » exige d’autres conditions : la concision et la précision des termes, et celles-ci, Dumas les ignore. Il se laisse emporter par son récit avec une aisance, un laisser-aller féconds en chocs d’idées, en heureuses rencontres de mots, et ne prend pas la peine de se relire. Osera-t-on dire que cet abandon n’est pas sans charmes ? Flaubert, qui s’y connaissait, l’appréciait grandement : il s’était pris de passion pour Antony qu’il admirait sans réserve et ne se tenait pas d’aise en écoutant Marie Dorval débiter cette prose brutale et rugueuse.

Certes, il serait téméraire de prétendre qu’Alexandre Dumas demeuré l’un des maîtres de notre langue : lui-même, on l’a