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Sicile, afin de s’y rencontrer avec Garibaldi. Il s’enthousiasme pour la cause de l’Unité Italienne, dépense en achats d’armes et de munitions les cinquante mille francs dont il s’est muni pour le voyage, va de Turin à Gênes, stimule les enrôlements, est reçu à Salerne au son des cloches, devient l’ambassadeur de Garibaldi qui, maître de Naples, le nomme directeur des Beaux-Arts, — fonction que Dumas accepte à condition qu’elle sera gratuite, — et le loge au palais de Chiatamone. Comme l’auteur de Joseph Balsamo est venu là pour se reposer, il ne publie, durant son séjour à Naples, que vingt-sept volumes ; il est vrai qu’il fonde et dirige un journal, l’Independente, et que le meilleur de son temps est pris par les fouilles de Pompéi, œuvre qui l’exalte et qu’il entreprend de conduire méthodiquement.

Mais c’est compter sans l’ingratitude des lazzaroni qui s’insurgent contre lui. Dégoûté de la politique, il rentre à Paris en avril 1864, ramenant une cantatrice napolitaine, la signora Fanny G… Et quoique, lorsqu’on parle de Dumas, on doive impitoyablement sarcler les anecdotes sous peine d’être envahi par leur foisonnement, en voici une qui mérite peut-être d’être conservée parce qu’elle nous révèle quelles étaient, — alors qu’il dépassait la soixantaine, — la vigueur et la puissance d’action du père de Porthos. Il venait d’accomplir, d’une traite, le voyage de Naples à Paris : il arrivait à dix heures du soir ; son fils l’attendait à la gare et s’apprêtait à le conduire chez lui pour qu’il y put prendre du repos. Du repos ! À dix heures du soir ! « Non, fait Dumas, j’ai envie de voir Gautier., » Le voilà, entraînant son fils, en route pour Neuilly où habite Théophile Gautier ; tout dort dans la maison : au bruit de la sonnette on se lève, on se met à la fenêtre, on s’explique : « C’est Dumas père et Dumas fils !… — Mais nous sommes tous couchés ! — En voilà des paresseux ! Est-ce que je me couche ! Allons, ouste ! tout le monde debout ! » Gautier passe son pantalon de velours, endosse sa vareuse pourpre, descend, en savates, ouvre sa porte, et les deux Dumas sont reçus au salon mal éclairé par des lumignons de fortune. Il est entendu que la visite ne durera que quelques minutes : Dumas n’a pas eu la patience d’attendre jusqu’au lendemain pour embrasser son vieux camarade ; mais bientôt l’auteur de Maupin et celui des Mousquetaires se laissent aller à leurs souvenirs ; leur gaieté