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— Parlez-nous de lui.

J’ai retenu quelques-uns de ces récits. Puissent les survivants de la division y retrouver leurs propres souvenirs et y joindre l’accent !

C’est un soir d’octobre (1914). La division se bat depuis plusieurs jours. Elle a maintenu à peu près intact son front vers Hénin-sur-Cojeul, Guémappe, Waucourt, la chapelle et le moulin de Feuchy, mais elle n’a plus une troupe en réserve : un simple cordon de tirailleurs qui n’est même pas continu garde le signal de Beaurains. Il y a là un trou de trois kilomètres : si l’ennemi en profite, il foncera sur Arras sans coup férir ! Le capitaine de Féligonde, inquiet, fait part de son angoisse à son chef : « C’est vrai, dit Barbot, il y a un trou : eh bien, allons-y, nous le boucherons. » Et les voilà partis. Sur le terrain, ils s’étendent côte à côte pour passer la nuit. Mais les mitrailleuses continuellement crépitent : est-ce une attaque ? « Féligonde, vous dormez ? demande Barbot. — Non, mon général. — Vous entendez ? — Oui, mon général. — Allez voir… »

« Chaque fois, raconte Féligonde, je suis parti, au clair de lune. La fusillade était vive là bas, vers Hénin-sur-Cojeul, chez les chasseurs du colonel Bordeaux, mais, devant nous, il n’y avait rien. Chaque fois, je suis revenu avec la même réponse : « Rien de nouveau, mon général. » Et nous essayons de dormir. Enfin, le jour vient : « Allons voir là-bas vers la chapelle de Feuchy, » nous dit le général. Nous longeons la ligne de tirailleurs ; les hommes ne paraissaient pas trop fatigués, malgré la nuit mouvementée. Dans les betteraves et les pommes de terre, ils ont creusé de petites tranchées dont ils recouvrent de verdure le parapet pour les dissimuler à l’ennemi. Après la chapelle de Feuchy, le général a pris par le chemin de Waucourt. Tout est calme dans ce matin d’octobre. Peu à peu, nous nous sommes éloignés des noires. Tout à coup, à cent mètres de nous à peine, une patrouille ennemie de quatre hommes nous apparaît dans le brouillard. Nous ne sommes que trois : le général, Allegret et moi, n’ayant pour armes que nos revolvers. Toujours calme, le général s’arrête. La patrouille fait de même. On se regarde : la patrouille hésite, puis fait demi-tour et s’en va. Le général est ravi de cette bonne histoire, cependant qu’Allegret essaie, mais en vain, de l’amener à une compréhension