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plus prudente de son rôle. Nous ne le guérirons jamais de sa témérité.

« Au retour, nous rencontrons un alpin du 97e traînant la patte.

— Où vas-tu comme ça, mon petit gars ? lui demande le général.

« Le gars hésite, puis, voyant son interlocuteur vêtu d’une capote de troupe, coiffé d’un béret d’alpin sans galons ni étoiles, le prend pour un vieux père.

— Et toi, le sais-tu, où tu vas ?

« Le général éclate de rire : « Il ne croit pas dire si vrai, » nous souffle-t-il… »

Il ne portait aucun insigne, mais peu à peu tous ses hommes connaissaient son béret, sa capote et sa figure. La vie ne l’avait point gâté. Avant la guerre, il n’avait pas été apprécié à sa valeur et, demeuré simple et modeste d’allure et de sentiment, il était encore tout surpris de sa rapide élévation. Cependant, les combats devant Arras continuaient si durs, avec si peu de monde, que le général, au moulin de Blanzy, se décide à envoyer Féligonde au poste de commandement du général d’Urbal, à Haut-Avesnes : « Dites-lui où nous en sommes. Ce n’est pas brillant. Toutefois, n’exagérez rien, je tiendrai… Toutefois, si le général d’Urbal pouvait m’envoyer quelques renforts, je saurais leur trouver un emploi… là-bas, vers la Maison Blanche… Dites aussi que je ne puis compter pour le moment sur le 97e, trop éprouvé par l’affaire de Waucourt, et qui a besoin de se refaire. Mordacq me dit que le 159e, quoique fatigué, peut encore tenir. Quant à Bordeaux, je n’ai pas encore de ses nouvelles ce matin : il ne tardera pas à me rejoindre, mais il faut que les éléments du 10e corps l’aient relevé à Hénin-sur-Cojeul… Partez vite ! »

Tandis que le capitaine de Féligonde exécute sa mission à Haut-Avesnes, le général va visiter le 159e. Le colonel Mordacq qui commande la brigade le reçoit : « Mon pauvre Mordacq, il va nous falloir évacuer Arras. — Evacuer Arras ? vous n’y songez pas ! Vous connaissez bien nos alpins, mon général : vous les avez commandés, ils tiendront. — Les ordres vont venir. C’est un grand courage que de savoir prendre ses responsabilités. Il vous faudra bien obéir. — Vous ne me donnerez pas cet ordre. Je vous défie de me le donner… »