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Quand j’ai débarqué à Paris j’avais deux louis dans ma poche, Regarde : je les ai encore !… »

Pieusement on lui avait caché la marche envahissante des armées ennemies. Mais elles approchaient de Dieppe : serait-il possible de dissimuler plus longtemps nos revers au père de d’Artagnan ? Il avait formellement recommandé à son entourage qu’on ne le laissât point surprendre par la mort et qu’on appelât un prêtre pour l’assister dans ses derniers moments. À l’heure où l’abbé Andrieu, curé de Saint-Jacques, lui administrait les sacrements, un détachement prussien prenait possession de Dieppe, et Dumas mourut ce même jour : c’était le 5 décembre 1870. Il fut provisoirement inhumé, le 8, dans le petit cimetière de Neuville où son corps reposa durant dix-huit mois.


Le 16 avril 1872, par un jour clair de printemps, la dépouille d’Alexandre Dumas était transportée à Villers-Cotterets et déposée à côté de celles du père et de la mère du romancier. D’énormes sapins ombragent de leurs rameaux sombres les trois pierres plates recouvrant les trois tombes, lieu de pèlerinage pour tous les touristes qui viennent visiter l’aimable petite ville et les splendeurs de sa forêt. À quelques pas du cimetière, le long de la voie du chemin de fer, s’érige, depuis 1885, à l’entrée du bourg, la statue de Dumas, œuvre de son compatriote Carrier-Belleuse.

Deux ans auparavant avait été élevé à Paris le magnifique monument conçu par Gustave Doré. L’apothéose, on le voit, ne s’est pas fait attendre. Il est à remarquer, en effet, que la renommée d’Alexandre Dumas n’a pas subi le temps d’arrêt auquel sont astreintes tant de célébrités, et des plus éclatantes. Sans doute, sa vogue s’éclipsa dans les dernières années de sa vie ; mais on ne cessa pas de le lire et, aujourd’hui encore, après un demi-siècle écoulé, malgré l’inconstance proverbiale de nos préférences et de nos engouements, il n’est, pour ainsi dire, pas un Français, de quelque rang intellectuel soit-il, qui ne connaisse au moins les plus réputés de ses romans. Plusieurs de ses pièces n’ont jamais quitté les affiches de la Comédie-Française et du théâtre de l’Odéon. Il semble que, à toutes les époques de sa vie tourmentée, la France éprouve le besoin de se réconforter à l’œuvre de celui qu’on a surnommé « le Consolateur. »