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d’entreprendre, et qu’accomplit en temps ordinaire la basse main-d’œuvre d’immigrants. Ceux-ci affluent normalement à raison d’un million par an. La guerre a tari subitement cette source de main-d’œuvre absolument indispensable. L’Europe cesse d’envoyer ces Italiens, ces Ruthènes, ces Slovaques, etc., qui à peu près seuls assuraient l’exécution de ces travaux. Bien plus, elle rappelle pour les mobiliser d’énormes contingents de ses citoyens ; et l’armée des travailleurs manuels est encore diminuée par ces rappels. D’autre part, les gros salaires offerts par les usines de guerre qui travaillent pour les Alliés absorbent une main-d’œuvre qui, en temps de paix, aurait été consacrée à d’autres fins. On ne trouve plus, à aucun prix, d’ouvriers pour les travaux manuels les plus indispensables. Tout le développement du pays est paralysé.

Et d’autre part, parmi tous ces ouvriers qui brusquement sont arrivés à une prospérité inaccoutumée, le « standard of living » a changé du tout au tout. La consommation des vivres a augmenté dans des proportions inquiétantes. Et pendant que cette consommation s’accroît, la production diminue dans un rapport encore plus fort. L’insuffisance de la main-d’œuvre agricole n’en est pas la seule cause. On manque d’engrais par suite de la perturbation dans les transports ; de semences ; de machines agricoles ; de moyens d’écoulement pour les produits.

De plus, les conditions climatériques ont été défavorables dans les deux hémisphères ; la récolte, en 1916, a été déficitaire sur toute la terre ; les États-Unis, notamment, qui, en 1915, avaient produit 257 millions de quintaux de blé, en 1916 n’en ont récolté que 110 millions Le prix du boisseau de blé, qui, en 1914, variait de 1 dollar à 1 dollar 10 cents, atteint 2 dollars 14 cents. Et la hausse continue. Le pain se paie à New-York plus de deux fois plus cher qu’à Paris. Et cependant les exportations de vivres augmentent toujours ; elles étaient de 22,2 pour 100 en 1913 ; en 1916, elles atteignent 29,6 pour 100. L’insuffisance de toutes les denrées est proportionnelle, et la situation devient de jour en jour plus grave. L’élévation formidable des salaires ne peut remédier à l’élévation encore plus rapide du coût de la vie. et puis, une folie de dépense et de jouissance s’est abattue sur tous. Les objets, les denrées de luxe sont accaparés par la classe ouvrière. Les cinémas, les théâtres regorgent. Aux portes des usines d’innombrables files