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Barbot s’éloigne sur ce dialogue. La confiance de son subordonné l’a gagné. Mais il revient sur ses pas quand il a fait cinq cents mètres : « Voici l’ordre : il faut que je vous le donne… » Car il est le chef et doit décider.

Cependant, à Haut-Avesnes, Féligonde a trouvé le général d’Urbal dans la salle à manger d’une ferme. Le général de Maud’huy, qui commande l’armée, est là. Eux aussi savent prendre leurs responsabilités. Il n’y a pas de renforts, la situation paraît intenable, il ne faut pas qu’elle s’aggrave, l’ordre de retrait des forces qui sont devant Arras est dicté : la division Barbot s’organisera dans la région de Duisans. C’est l’évacuation d’Arras.

Féligonde est revenu. Il cherche le général. « Le général est encore une fois parti, lui dit AllUegret. Il a voulu voir le 159e. Cet ordre exige une exécution immédiate. Tant pis, asseyons-nous sous cet arbre et rédigeons les ordres de repli… » Les ordres sont prêts quand Barbot rentre. Ailegret lui montre l’ordre du général d’Urbal et les ordres d’exécution rédigés en conséquence. Le général en prend connaissance d’un coup d’œil. Il paraît nerveux. Il les lit, il les relit et tout à coup : « Evacuer Arras ? non, non. Mordacq a raison. Nos alpins tiendront. Moi vivant, on ne reculera pas. Tenez !… » Et il déchire tous les ordres : « Allez dire aux troupes que tout va bien, très bien. Dites-leur qu’Arras est confié à leur honneur, que ces chiens n’y entreront pas. Mordacq sera content. Ou plutôt attendez : j’irai moi-même… » Et le voilà reparti. Arras sera sauvé. Arras est sauvé…

À cet incomparable chef, une belle mort était due. Sa division devait prendre part à l’offensive d’Artois le 9 mai 1915. Après avoir tout préparé, tout mis en œuvre, tout prévu, pensé comme toujours à l’état moral des troupes comme à leur situation matérielle, réglé tout ce qui pouvait l’être, il avait assisté à la marche rapide, foudroyante de ses bataillons, à l’éblouissant succès qui le payait en une fois de toutes les misères supportées, de la boue, du sang, de l’endurance inouïe des huit mois écoulés. Le lendemain, la réaction de l’artillerie ennemie fut violente, le bombardement des 105 à pou près ininterrompu des abords de Souchez au Cabaret Rouge, de Carency au bois de Bertbonval. Souchez, le Cabaret Rouge, Carency, le bois de Berthonval, noms de douleur, et plus encore de gloire. Entre le