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la France, le peuple américain eût fait litière de ce corps en décomposition. » Contre le Président de la Commission Sénatoriale des Affaires étrangères, Stone, qui fait le jeu de l’Allemagne, les protestations s’élèvent de plus en plus violentes : on rappelle qu’il vient de Saint-Louis, forteresse du germanisme ; contre le chef des démocrates à la Chambre des Représentants aussi, Claude Kitchin ; et contre Mann, chef des républicains, germanophile notoire qui vient de l’Illinois où l’on compte 1 014 408 Allemands.

Mais, par un coup de maître, le Président les confond. Déjà il a dévoilé, par la publication des papiers Boy-Ed, Dumba et Von Papen, les intrigues allemandes aux États-Unis ; et maintenant il jette en pâture à l’opinion américaine la note Zimmermann au Mexique qui propose une alliance avec le Japon pour attaquer les États-Unis et leur enlever trois de leurs États les plus vastes. Ce fut, dit le Boston Transcript du 1er mars, comme un éclat de tonnerre dans un ciel lourd et trouble. M. Bryan, le grand-prêtre du pacifisme, en fut si bouleversé qu’il quitta précipitamment Washington où il était venu encourager ses fidèles. Un frisson d’indignation parcourt tout le pays : le Sud et l’Ouest réagissent sous la menace soudain révélée, avec autant de violence que l’Est. L’Outlook du 14 mars écrit que « la leçon de perfidie diplomatique a pénétré sous la peau des plus denses parmi les nombreux méridionaux que la guerre n’avait guère touchés jusque-là. Même dans les clans pacifistes on estime maintenant que le Président eût dû rompre dès la nouvelle de l’invasion de la Belgique. » Quelques heures, et cette seule révélation, avaient suffi pour produire un revirement d’opinion que des années et toutes les horreurs de la guerre avaient été impuissantes à amener. A lui seul le choc de cette note Zimmermann a déterminé la cristallisation instantanée : l’Ouest menacé monte au diapason de l’Est. — Pas tout de suite cependant. Le pacifisme est encore si profondément ancré dans les esprits que, huit jours après la foudroyante révélation, le San Francisco Chronicle s’irrite contre « les gens remuants qui veulent à tout prix rendre la guerre inévitable, » et demande « qu’on accorde au Président pacifiste tout pouvoir nécessaire, persuadé qu’entre ses mains la paix sera beaucoup mieux assurée que livrée aux fantaisies d’un Congrès brouillon. » Ou accuse « M. Wilson d’être un théoricien. Il n’y a pas de plus beau