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cimetière de Souchez et le chemin de Neuville-Saint-Vaast, le 97e régiment souffrait, sans abris, sans tranchées, soumis aux rafales des canons et des mitrailleuses d’un ennemi qui, du haut de la cote 119 nouvellement reconquise, épiait tous ses mouvements. Les pertes étaient élevées, les ravitaillements difficiles…

Sur le carnet de route du capitaine de Féligonde, je copie ces notes consacrées à la dernière journée du général Barbot :


Lundi il mai 1915.

… Nous sommes depuis hier soir dans un bout de tranchée, — c’est le poste de commandement du général, — profonde d’un mètre à peine : nous nous accroupissons chaque fois que les rafales recommencent et le général grinche, n’aimant pas courber la tête lorsque l’ennemi canonne. Mais il le faut… car le petit chemin de terre qui passe devant notre fossé est souvent balayé par les obus… et devient intenable. Qu’importe, tout est à la joie du triomphe, et la journée d’hier marquera dans l’histoire de la division…, de la division Barbot ! Plus de 1 500 prisonniers au tableau, des gros canons, un colonel !

Autour de nous, dans des tranchées semblables à la nôtre, le 60e bataillon de chasseurs est en réserve. Les hommes eux aussi sont joyeux… on devine dans leurs yeux leur désir d’aller à la bataille, à la victoire !

Il est midi, nous avons déjeuné, repas frugal, comme toujours, le général n’aime pas qu’on festoie, même aux jours de succès, et cependant il ne cache pas sa joie : « Belle journée, bonne journée ! » dit-il à tout instant, puis, montrant l’ennemi du doigt : « Ah ! les chiens ! »

Cependant le bombardement redouble sur le Cabaret Rouge.

— Je vais aller voir Combarieu[1], dit le général.

En vain, nous le dissuadons de partir, car les Allemands depuis un instant nous accablent de leurs rafales en guise de dessert.

— Attendez quelques minutes que la rafale soit passée, lui objecte Allegret[2].

Mais, faisant signe au planton Favier de le suivre, le général a déjà sauté de la tranchée sur le chemin et part en courant pour traverser rapidement la zone de bombardement.

— Toujours le même, dit l’un de nous, jamais à sa place !

Un cri poussé dans la tranchée voisine nous fait lever la tête… Le général est couché sur le dos à 200 mètres de nous, un obus vient

  1. Colonel de Combarieu, commandant le 97e.
  2. Allegret, chef d’état-major de la 77e D. I.