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de tomber là, à ses côtés… Il est blessé… On se précipite, vite un brancard. En quelques secondes, nous sommes près de lui… Très pâle… il souffre horriblement.

— Touché, dit-il en nous voyant.

L’infirmier se penche sur lui et l’ausculte. Hélas ! l’examen est vite terminé : le bras droit est fracassé, un éclat de 105 a labouré le ventre, et de la capote déchirée et sanglante s’échappe l’intestin…

Maintenant le cortège revient : pas un mot, pas un cri de souffrance. Le général ferme les yeux… Nous voici devant sa petite tranchée, son poste de commandement de tout à l’heure. Chacun en est sorti et salue. Le général, dominant sa souffrance, essaie de se soulever sur le côté gauche… en vain il essaie de saluer de la main droite… impossible de remuer ce pauvre bras brisé. Cependant il se raidit.

— Au revoir, messieurs, bonne chance !

Sa voix est encore forte. Mais épuisé, il retombe, et l’instant est poignant… Derrière nous, les chasseurs ont été les témoins navrés de cette catastrophe ; alors, sans ordre, instinctivement, tous se lèvent et présentent les armes à leur chef vénéré. Une fois encore, le général essaie de se relever, mais sa tête retombe sur le brancard. De la main gauche il fait signe à ses chasseurs, à tous ses « gas » qu’il aime tant. « Au revoir, mes amis, au revoir… »

Le triste cortège se dirige maintenant vers le bois de Berthonval, puis aux 31 abris d’où une auto emportera notre général à l’ambulance de Villers-Châtel. En chemin l’aumônier arrive :

— Puis-je vous accompagner, mon général ?

— Restez près de moi, ne me quittez pas.

Le trajet jusqu’à l’ambulance a, paraît-il, été pénible. Trois fois le général a perdu connaissance. Enfin, avec mille précautions, on le porte dans la salle d’opérations. Le chirurgien d’un geste d’impuissance fait comprendre à tous ceux qui sont là que son intervention est inutile… et tout le monde se retire, sauf l’aumônier.

L’entretien est très court… l’abbé Lefebvre revient très ému.

— Un saint ! nous dit-il simplement.

Il me raconte cette entrevue :

— Monsieur l’aumônier, c’est fini… avant de mourir, je veux vous dire que je n’ai jamais voulu offenser Dieu ni les hommes… Si je leur ai causé de la peine, je leur en demande humblement pardon…

Mais voici le lieutenant-colonel Moreigne, sous-chef d’état-major du général Pétain, qui entre :

— Mon général, le général d’Urbal m’a chargé de vous remettre la croix de commandeur. ..

— Merci, colonel…

Les forces diminuent rapidement. Le commandant Dodun, qui est