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colonnes de marbre rose, et se fait entendre sans trêve. Les musiciennes ont un hymne pour chaque heure du jour. Les matins s’éveillent au son des violons, avec des terrasses où s’épanouissent les roses, avec des houris qui s’avancent, messagères de bonheur, à la face du soleil ; sous la torpeur du midi, dorment des villes de rêve, des femmes accoudées autour d’une vasque dissipent leur lassitude à effeuiller des pétales de jasmin, tandis que des jeunes filles, sous la voûte d’un figuier, s’envolent à l’élan d’une escarpolette, en se fredonnant des berceuses ; à la lueur des couchants, des caravanes diminuent à l’horizon, les cœurs s’emplissent de nostalgie brûlante, des amants solitaires se consument d’amour ; et lorsque s’élève la plainte du rabab, unique au milieu des violons et des guitares endormis, c’est la nuit, le rossignol qui s’éveille dans le mystère des palmes, la bien-aimée tirée du sommeil pour entendre la mélodie composée à sa louange…

L’assistance est grisée. Chacune redemande tel ou tel hymne qui a éveillé en elle le plus de souvenirs. Mais elle sait ce que cela lui coûte. À la fin de l’hymne, les cordelières des serouals se dénouent, et les pièces d’or pleuvent sur un plateau de cuivre au bord du tapis de l’orchestre.

Des négresses glissent dans les rangs, avec de lourds plateaux damasquinés, offrant les pâtisseries exquises faites de pâtes d’amandes et de fleurs d’orangers. De grands vases bleus ou roses circulent, qui contiennent une boisson rafraîchissante où surnagent des tranches de citron.

La musique n’est interrompue que par la danse. La danse du harem est lente et noble. La danseuse évolue un instant parmi des voiles, dans un léger tortillement de hanches, tandis qu’une musique très douce évoque tout un luxe de salles féeriques et de platonique amour. Puis, l’une des invitées l’appelle, en tirant une pièce d’or. La danseuse se penche vers la lalla, reçoit la pièce sur le front, baise la main qui la lui a appliquée, et s’éloigne au diapason accéléré des guitares, jusqu’au plateau où elle dépose le sultani…

De temps a autre, une vieille femme apparaît à une porte de la cour.

— Lalla Flana, passe voir ton sidi !

Lalla Flana, interpellée, se lève, fière, secoue son seroual, rajuste ses foulards, change une rose à ses cheveux, et pénètre