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au centre d’où s’est épandu peu à peu l’Empire. Et l’année suivante, en 1890, il a déjà écrit la Chanson des Anglais.


II. LA POÉSIE DE L’IMPÉRIALISME

Des Anglais : il faut s’arrêter à ce dernier mot. En un temps où l’on commence, de l’autre côté du détroit, à ne plus parler d’Angleterre, England, mais de Bretagne, Britain, où c’est le terme British qui désigne officiellement les sujets de la Reine, Kipling ne dit jamais que les Anglais, — the English. Et ce mot, il le prend tantôt dans le sens le plus large, puisqu’il en étend la portée aux « Cinq Nations, »[1] et même, dans le passage qu’on vient de lire, à la population principale des États-Unis, — tantôt dans le sens étroit, celui que Gallois, Irlandais, Écossais, surtout, ont peu à peu imposé à la langue en insistant pour qu’on n’appelât plus de ce nom l’ensemble, mais seulement l’un des peuples de Grande-Bretagne. Mais c’est entre tous, le peuple politique à qui le pays doit son principe organisateur, sa force d’action et d’expansion ; et l’étranger ne s’y trompe point, qui persiste à dire Angleterre pour tout le Royaume-Uni. De là cette double signification que le poète, sans illogisme, peut prêter à la fois au même vocable. L’idée, c’est que si les Cinq Nations comprennent des races diverses, les Anglais les ont construites, qu’elles sont œuvre anglaise, — anglaises de formation, de type et de culture ; c’est que son Empire, l’Angleterre le doit au descendant de l’Angle, du Saxon, du Northman — yeoman, fermier, squire, marchand, navigateur, — à l’homme lent, patient, pratique, tenace à l’effort, résistant à l’ennui, religieux et respectueux de la Loi, l’homme dont Carlyle a célébré la prise sur la matière, les vertus de silence et de discipline spontanée, — celui que de Foe nous a montré ne tirant que de soi son courage, sa résistance et son activité, opposant son labeur à la solitude, lisant la Bible et colonisant, se créant de ses mains son home et le perfectionnant toujours, et, parce qu’il a su s’imposer une loi, parce qu’il est non seulement son maître, mais maître de soi-même, finissant par devenir le maître des choses dans son ile.

  1. Angleterre, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, Canada.