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Tel est le type que, depuis Meredith et Matthew Arnold, l’on oppose, de l’autre côté du détroit, au cette artiste et loquace, fantasque et sensitif, à la race qui a créé le plus aérien et le plus magique de la poésie anglaise, et que, si longtemps, on a définie impratique (on découvre aujourd’hui que dans le domaine des faits, elle pourrait être en train de prendre sa revanche.) « Celte et Saxon, » Kipling fait la même distinction que le grand romancier gallois[1]. Et l’on peut dire que si, dans la littérature d’outre-Manche, Meredith apparaît comme le champion du Celte, c’est de l’Anglais, du Saxon (Saoz, disent encore nos Bretons), que Rudyard Kipling est le poète et le porte-voix[2].

Jusqu’à quel point le type ainsi nommé est-il vraiment ethnique, comme on le croit en général, et non pas simple produit de culture ? C’est un fait qu’il prédomine, avec la complexion claire, dans l’Est de la grande ile, où les envahisseurs ont abondé. Mais il semble bien aussi que ses caractéristiques morales sont allées se renforçant, lorsque sous l’influence des historiens, romanciers, moralistes, on en a pris conscience, lorsqu’elles sont apparues comme nationales, et que vers cette nouvelle idée de perfection, l’opinion, l’éducation, les mœurs, se sont orientées. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’Anglais s’est fait généralement, et de parti pris, si anglais (au XVIIIe, il veut être un « homme de sentiment, » et il exprime très bien ses émotions)[3]. C’est alors que s’est établi chez lui, aux dépens de certaines valeurs esthétiques et intellectuelles, le culte de la santé et de l’action, le prestige de l’homme fort, de regard tranquille, de parole et de gestes rares, qui peut commander parce qu’il est dressé à se commander, et que l’idée de ses consignes le possède. Mais souvent, sous l’apparence apprise et unie du gentleman moderne, comme sous la patience et le flegme primitifs, se cachent ou dorment de profondes, dangereuses énergies, de rêve, de passion, qui peuvent soudain surgir pour jeter l’être aux âpres voluptés du risque, de l’aventure et de la bataille.

  1. Celte et Saxon : titre d’un roman posthume de Meredith.
  2. Sur l’opposition du Celte et de l’Anglais, v. The Puzzler dans Songs from Books.
  3. La sensibilité, l’expression de l’émotion ont gardé leur valeur sociale chez les Américains, qui, à certains égards, sont restés des Anglais du XVIIIe siècle.