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des Sept amis, ils n’étaient pas dans le cas de donner aucune instruction sur leur compte. » A quoi Maistre observe, dans son Mémoire à Vignet, que « si les Français avaient eu du bon sens, il y en avait assez pour faire rejeter la demande. » Mais le Grand Orient de France accepta de constituer les Sept amis, lesquels distribuèrent la lumière à deux autres loges, en deux autres coins de Savoie ; et la Sincérité, faisant contre mauvaise fortune bon visage, daigna se montrer cordiale. Les registres des Sept amis, aux dates du 3 décembre 1787, du 24 avril 1788, du 3 mars 1789, du 24 avril 1789, mentionnent la visite de Maistre, délégué par la Sincérité avec quelques-uns de ses « frères, » qui se trouvent être, parfois, des intimes de la famille Maistre, comme Roze ou comme Salteur.

La Sincérité prenant ses ébats maçonniques parmi les plâtres fraîchement essuyés des Sept amis, c’était la noblesse savoyarde faisant des politesses à la roture. « L’égalité, explique cependant Maistre à Vignet, n’était que dans les mots : toute cette Frérie n’influait exactement point sur la distinction des états dans la société. »

La Révolution troublera ces superficielles cordialités. Victor-Amédée III, quoique franc-maçon lui-même, et bien qu’il tint en haute estime les noms qu’il trouvait sur les registres de la Sincérité, signifiera, « au commencement de la Révolution, » à un membre de cette loge, — peut-être était-ce Maistre, — qu’« au moment où toute réunion est suspecte simplement comme réunion, on ne doit point s’assembler ; » et la loge, docile, enverra son vénérable, le comte Frédéric de Bellegarde, donner à Sa Majesté « la parole d’honneur de tous les membres, qu’ils ne s’assembleront plus sans son congé [1] : » ainsi capitulera l’activité maçonnique de Maistre devant les alarmes de son roi. Les organisations révolutionnaires de Chambéry qui, d’accord avec la maçonnerie de l’Isère et de l’Ain, prépareront le déracinement de la noblesse savoyarde, seront les prolongements authentiques, occultes, de cette loge des Sept amis, où, dans les années qui précédèrent la Révolution, cette noblesse venait affirmer son amour de l’humanité.

Mais le mémoire que reçut en 1793 Vignet des Etoles atteste que Maistre n’admettait qu’avec beaucoup de réserves et beaucoup

  1. Albert Blanc, Mémoires politiques et correspondance diplomatique de Joseph de Maistre, p. 18 (Paris, 1858). Le comte Rodolphe de Maistre. dans sa notice biographique (Œuvres, I, p. VIII), croit que la parole d’honneur fut portée par Maistre ; mais la lettre de Maistre, citée par Blanc, est formelle au sujet de l’envoi . de Bellegarde. Voir Vermale, op. cit., p. 20-21. Dans le Mémoire à Vignet, Maistre, essayant de préciser le moment où la Sincérité cessa de s’assembler, écrit : « Si je ne me trompe, dans l’été de 1791. »