Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant ces derniers jours, n’avait jamais mis le pied en Sicile : son domaine est géré de Palerme par un administrateur général et ici même par un fermier ou gabellotto. Ce dernier prit prétexte de la hausse du prix des produits agricoles pour augmenter les fermages des paysans et en exiger le paiement, non pas, comme l’établit l’usage, en argent, mais en nature. Les paysans refusèrent. C’est alors qu’intervint notre association, dont je dois vous dire un mot.

« Vous connaissez le nom de don Cerrutti, l’admirable prêtre vénitien dont l’action sociale s’étendit à une grande partie du royaume. C’est lui qui, en 1892, au cours d’un voyage en Sicile, y apporta le modèle des Caisses rurales et des associations coopératives qui donnaient à Bergame de si bons résultats. Sur son conseil, quelques curés siciliens fondèrent des Caisses rurales : on y reçut les dépôts des paysans, on ouvrit de petits crédits agricoles, on facilita les achats d’engrais chimiques et de machines. Plus tard, nous essayâmes de substituer aux gabellotti nos propres associations, qui offraient au propriétaire d’un feudo un prix de location global, pour répartir ensuite les lots entre les paysans. Nous nous heurtâmes à une double résistance : celle des gabellotti, qui craignaient d’être éliminés comme entrepreneurs après l’avoir été comme usuriers ; celle des propriétaires, qui nous reprochaient de ne leur offrir aucune garantie. Dans certains cas, nous sommes venus à bout de ces deux obstacles ; mais jamais nous n’avons triomphé de l’individualisme des paysans, qui n’arrivent pas à concevoir les avantages de l’exploitation en commun.

« Lorsqu’éclata le conflit de Ribera, notre association entra en pourparlers avec le duc et lui fit une offre intéressante : le double de la gabelle capitalisée était proposé comme base du prix de vente. L’Espagnol refusa. Nous offrîmes de payer la somme en or : nouveau refus. Les paysans se révoltèrent ; les terres furent envahies, le duc fut séquestré dans son propre palais, d’où il eut quelque peine à s’échapper.

« L’incident n’est pas clos, ajouta d’une voix ferme don Licata. Nous voulons que la terre soit rendue au paysan ; c’est la solution la plus avantageuse au point de vue de la production, et c’est aussi la plus morale. Que le Gouvernement prenne garde ! Nos paysans sont bons, mais violents. Si on ne leur donne pas satisfaction, on reverra ici les fasci de 1893, la révolution.