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la science. Le morcellement du sol éloigne de l’agriculture et l’application des machines et celle du capital. Sans machines, pas de progrès ; sans capital, pas de bestiaux. Et dès lors, comment les petites exploitations pourraient-elles soutenir la concurrence des grandes et n’être pas absorbées ? Ce résultat ne s’est pas produit encore, parce que la dissection du sol n’a pas encore atteint ses dernières limites. Mais patience ! En attendant, que voyons-nous ? Tout petit propriétaire est journalier. Maître chez lui pendant deux jours de la semaine, il est serf du voisin le reste du temps. Il s’approche même d’autant plus du servage qu’il ajoute à sa propriété. Voici, en effet, comment les choses se passent : tel cultivateur qui ne possède en propre que quelques méchants arpents de terrain qui lui rapportent, cultivés par lui-même, 4 p. 0/0 tout au plus, ne craint pas, quand l’occasion s’en présente, d’arrondir sa propriété. Il le fait en empruntant à 10,15, 20 p. 0/0. Car si le crédit manque dans les campagnes, l’usure, en revanche, n’y manque pas. On devine les suites ! 13 milliards, voilà de quelle dette la propriété foncière est chargée en France. Ce qui signifie qu’à côté de quelques financiers, qui se rendent maîtres de l’industrie, s’élèvent quelques usuriers, qui se rendent maîtres du sol. De sorte que la bourgeoisie marche à sa dissolution, et dans les villes et dans les campagnes. Tout la menace, tout la mine, tout la ruine.

Je n’ai rien dit, pour éviter les lieux-communs et les vérités devenues déclamatoires à force d’être vraies, de l’effroyable pourriture morale que l’industrie, organisée ou plutôt désorganisée comme elle l’est aujourd’hui, a déposé au sein de la bourgeoisie. Tout est devenu vénal, et comme la concurrence avait envahi jusqu’au domaine de la pensée, il a fallu imaginer,en manière de remède, de véritables douanes littéraires. Écoutez ce que dit à ce sujet, dans son vigoureux et philosophique roman de Léo, M. Henri de Latouche : « Les mœurs littéraires sont tournées à l’argent ; c’est l’idée fixe de notre époque, c’est le chien contagieux dont est mordu ce siècle épicier… Croiriez-vous qu’il s’est formé une congrégation d’assureurs contre la propagation des idées ? Nos hommes de style, comme les principicules d’outre Rhin, se confédèrent, non au profit des idées à répandre, mais des bénéfices à concentrer. Ils se sont garanti l’intégralité de leur territoire et l’inviolabilité de leurs frontières, qui sont très prochaines. On établit en faveur des phrases un système de prohibition. On se proclame ruiné, si on vous emprunte un demi article. C’est la sainte-alliance des paragraphes ; ce que craignent surtout certains eunuques,c’est d’être reproduits !… La philosophie n’a plus droit de passage et de libre pratique. La pensée, comme le soleil, ne luira plus pour tout le monde ; enfin, si l’étudiant des universités prussiennes sympathise quelquefois en secret avec nous, ce n’est pas la faute des douaniers plumitifs et de leurs cordons