Page:Revue militaires suisse - 47e année - 1902.djvu/460

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s’opérer dans l’art militaire. Donc, voici ce qu’il disait, il y a déjà onze ans :

Non, la défensive n’est pas, comme on l’a dit, une attitude dont toute la force réside dans des avantages purement négatifs. Elle a une vertu propre. Quand elle aura, par sa solidité, brisé l’élan des assaillants, elle n’aura pas besoin de sortir de ses abris pour les achever. La prodigieuse puissance de son feu écrasera les fuyards. Il n’y aura pas déroute, il y aura anéantissement. Au moins les choses se passeraient-elles ainsi avec nos procédés de combats actuels, si on continuait à se battre sur des terrains découverts. Mais ne renoncera-t-on pas à ces errements, et les armées ne chemineront-elles pas tortueusement dans les pays coupés, transportant en pleine campagne les pratiques de la guerre des rues ? N’adoptera-t-on pas, malgré tous ses dangers, l’habitude des opérations de nuit ? Déjà le rôle de la cavalerie semble bien amoindri. Quelques auteurs vont plus loin : ils pensent que c’en est fini de ces duels gigantesques à coups de canon que l’art militaire, il y a quelque trois ou quatre ans encore, considérait comme le prélude obligé de tout combat. Si l’artillerie sert à quelque chose, disent-ils, ce ne sera qu’après avoir, elle aussi, transformé son matériel, en adoptant, par exemple, des canons légers à tir rapide… Qui croire ? Il est plus facile, comme nous l’avons expliqué, de dire qui il ne faut pas croire. N’ajoutons pas foi à ceux qui prétendent que l’offensive n’a rien perdu de sa valeur. N’écoutons pas ceux qui affirment que la guerre se fera dans les mêmes conditions qu’autrefois, qu’il y a seulement une poudre de plus, et que voilà tout.

Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo !

Et peut-être est-ce moins la tactique que la stratégie elle-même qui va être modifiée par les récentes innovations. La conduite des troupes, le choix du théâtre des opérations, peut-être sera-ce sur ces parties de l’art de la guerre que se portera la révolution que nous entrevoyons confusément. Un génie se révélera qui trouvera des dispositions stratégiques appropriées aux nécessités de l’heure présente et aux ressources que nous apporte l’incessante activité de la science. Et ce renouvellement des principes et des règles, il se traduira par une réorganisation générale de l’armée, par une répartition différente des armes combattantes, par une refonte complète de l’outillage, par une radicale transformation des moyens de commandement usités jusqu’à ce jour.

Dans ces indications sommaires, à l’usage des gens du monde, on trouve en puissance, si je ne me trompe, les grandes lignes de la révolution que j’ai essayé d’esquisser avec plus de précision.

Mais je vais plus loin, et, reconnaissant la puissance « prodigieuse » de l’armement actuel et la « vertu propre » qu’a acquise la défensive, j’en viens à me demander si la guerre sera encore possible. Faut-il avouer que j’en doute ?

Je vois bien deux armées immobilisées l’une en face de l’autre, se regardant fixement, les yeux dans les yeux ; je vois aussi des troupes disponibles en arrière ; mais ce que je n’arrive pas à concevoir ce sont ces raids qui s’effectuent impuné-