Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1878.djvu/323

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métaphysiques, je ne voudrais pas toutefois qu’on matérialisât en quelque sorte l’enseignement. Ne partir que des sens, ce serait méconnaître une fonction, naturelle aussi, de l’esprit, même chez les enfants : la faculté de concevoir spontanément des idées absolues, indépendantes de tout phénomène concret. L’idée de bonté, par exemple, ne dérive pas, chez l’enfant, de ce qu’il a éprouvé et connu que sa mère est bonne, que Jacques est bon, que le pain est bon ; c’est, au contraire, parce qu’il a a priori cette idée absolue de bonté, qu’il juge que telle ou telle chose, telle ou telle personne est bonne. — Dans un autre ordre de conceptions, si l’idée de pesanteur ne devait être que le résumé des constatations effectives opérées par l’enfant sur des objets pesants, il faudrait qu’il expérimentât tous les objets avant de pouvoir comprendre que la pesanteur est une qualité des corps. Il n’en est pas ainsi et, quoique les idées de cette sorte se rattachent plus directement aux données de l’expérience, l’enfant n’a pas un tel chemin à parcourir, parce que son esprit, tout porté à la généralisation, conçoit tout d’abord l’idée de pesanteur et l’étend sans effort à l’universalité des objets. — En un mot, il y a chez l’enfant : 1° des idées générales, surtout en ce qui concerne le domaine des idées morales ; 2° une aptitude naturelle et un penchant prononcé à généraliser, surtout en ce qui concerne les idées appartenant au domaine physique. Ces conceptions ou aperceptions naturelles et cette aptitude sont une des forces et des énergies principales de l’âme humaine, et c’est même là ce qui constitue essentiellement sa différence d’avec l’âme, si je puis dire, des animaux. La pédagogie ne saurait donc, sans préjudice pour sa dignité et son efficacité, négliger d’utiliser ce fonds commun d’idées absolues et générales que tout enfant possède, ni laisser dormir ce levier puissant d’éducation que l’instinct généralisateur de l’enfant fournit à un maître habile.

Les pages de M. Buisson, je me plais à le dire, sont de celles qui font réfléchir. C’est pourquoi je me suis laissé aller à ces réflexions, elles-mêmes un peu abstraites. Au surplus, nous ne sommes pas entre pédagogues comme entre augures, et nous prenons notre rôle au sérieux, parce qu’il l’est en effet. L’enfant nous est donné comme un champ à cultiver et, de même que pour la