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REVUE PÉDAGOGIQUE.

laisse lourdement choir, replie sous -les élytres ses ailes enfumées et du revers de ses brassards dentés culbute le propriétaire, impuissant à parer l’attaque dans sa posture d’attelage. Pendant que l’exproprié se démène et se remet sur jambes, l’autre se campe sur le haut de la boule, position la plus avantageuse pour repousser l’assaillant. es brassards pliés sous la poitrine et prêt à la riposte, il attend les événements. Le volé tourne autour de la pelote, cherchant un point favorable pour tenter l’assaut ; le voleur pivote sur le dôme de la citadelle et constamment lui fait face. Si le premier se dresse pour l’escalade, le second lui détache un coup de bras qui l’étend sur le dos. Inexpugnable du haut de son fort, l’assiégé déjouerait indéfiniment les tentatives de son adversaire, si celui-ci ne changeait de tactique pour rentrer en possession de son bien. La sape joue pour faire crouler la citadelle avec la garnison. La boule, inférieurement ébranlée, chancelle et roule, entraînant avec elle le bousier pillard, qui s’escrime de son mieux pour se maintenir au-dessus. Il y parvient, mais non toujours, par une gymnastique précipitée qui lui fait gagner en altitude ce que la rotation du support lui fait perdre. S’il est mis à pied par un faux mouvement, les chances s’égalisent et la lutte tourne au pugilat. Voleur et volé se prennent corps à corps, poitrine contre poitrine. Les pattes s’emmêlent et se démêlent, les articulations s’enlacent, les armures de corne se choquent en grinçant avec le bruit aigu d’un métal limé. Puis celui des deux qui parvient à renverser sur le dos son adversaire et à se dégager, à la hâte prend position sur le haut de la boule. Le siége recommence, tantôt par le pillard, tantôt par le pillé, suivant que l’ont décidé les chances de la lutte corps à corps. Le premier, hardi flibustier sans doute et coureur d’aventures, fréquemment a le dessus. Alors, après deux ou trois défaites, l’exproprié se lasse et revient philosophiquement au tas pour se confectionner une nouvelle pilule. Quant à l’autre, toute crainte de surprise dissipée, il s’attelle et pousse où bon lui semble la boule conquise. J’ai vu parfois survenir un troisième larron qui volait le voleur. En conscience, je n’en étais pas fâché.

Vainement, je me demande quel est le Proudhon qui a fait passer dans les mœurs du scarabée l’audacieux paradoxe « la propriété, c’est le vol », quel est le diplomate qui a mis en honneur chez les bousiers la sauvage proposition