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hartmann. — la philosophie religieuse

nous seulement, qui lirons constamment du monde le concept de Dieu comme de l’être qui lui est opposé, Dieu sans monde cesse d’être Dieu (dans le sens d’un être opposé au monde), mais il ne cesse pas de l’être si nous le considérons seulement en lui-même. La question est de savoir si cette opposition avec le monde est indispensable à l’essence de Dieu considéré en lui-même ; c’est là une question purement métaphysique, pour la solution de laquelle les théories des sciences naturelles ne peuvent donner aucune indication.

Sans doute, à un certain point de vue, la théorie d’après laquelle le monde est tiré par une éternelle nécessité de l’être éternel de Dieu lui-même est très-commode ; elle supprime le besoin d’une théodicée. Car si Dieu a été forcé de tout temps de produire le monde hors de lui, si par conséquent on n’admet pas la possibilité que le monde n’eût pas été créé, il n’y a plus lieu de se poser celte question : Pourquoi Dieu a-t-il préféré créer ce monde aie laisser incréé ? C’est cette question qui est le fondement de toute théodicée, c’est-à-dire de tout effort tendant à justifier Dieu d’avoir créé le monde ; elle n’a point pour but de prouver que Dieu, une fois qu’il s’est trouvé dans la nécessité de créer un monde, s’est assez bien tiré d’affaire en créant celui que nous voyons. Cette démonstration n’est pas difficile à faire ; mais ce qu’elle prouve n’a été guère mis en doute, de sorte qu’elle paraît tout à fait inutile[1]. À dire vrai, on la fait uniquement pour détourner l’attention du véritable problème et pour faire croire que des discussions de ce genre sont propres à amener la solution de la question.

La doctrine de l’Église a une solution très claire et très nette du problème proprement dit : elle enseigne que le monde a été créé pour la béatification de toutes les créatures ; ce bonheur n’est certainement pas réalisé dans le temps d’épreuves de celte vallée de misères, mais il le sera à la fin des temps par le retour de toute chose en Dieu. Comme le protestantisme spéculatif dédaigne avec raison une formule si naïve du but final du monde, il peut, s’il admet l’éternité du processus du monde, déclarer ou bien que l’être nécessaire de Dieu, qui a donné naissance à ce monde, est mauvais ou bien qu’il est bon ; dans le premier cas, il se trouverait d’accord avec la triste réalité ; dans le second, il faudrait qu’il s’efforçât de glorifier cette dernière à la façon des optimistes et de montrer que

  1. Si par exemple Dieu voulait avoir des créatures libres, il fallait qu’il leur laissât la possibilité de pécher ; ainsi le mal est justifié comme une conséquence inévitable du libre arbitre. Très bien ; seulement on ne se demande pas si Dieu n’aurait pas mieux fait de renoncer à la création de créatures libres, puisque cette création entraînait nécessairement l’introduction du mal.