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qu’il existe dans la conscience, quand nous pensons ou lisons tout bas), « nous revient dans la mémoire en partie sous forme d’impressions auditives, en partie sous forme d’articulations : à cela s’ajoute dans le langage écrit des signes visibles, laissant après eux des souvenirs visuels. Il y a de la sorte deux éléments sensitifs et un élément moteur ; il y aurait enfin un autre élément moteur si nous comptons l’acte même d’écrire. »

Pour Bastian, au contraire, « dans la pensée qui se sert du langage, le souvenir des impressions auditives est tout ; celui des articulations n’est rien. » Il soutient d’ailleurs, comme le fait remarquer son contradicteur, cette thèse plus générale : « que, dans la pensée, nos idées fournies par les sens propres (perception de la vue, de l’ouïe, du toucher, etc.) jouent seules un rôle ; tandis que nos idées musculaires de résistance, de mouvement, etc., n’en jouent aucun. » C’est, on le voit, le fond même de notre sujet qui est débattu ici à propos d’un cas particulier.

L’argumentation de Bain nous paraît sans réplique. Pour montrer que c’est principalement sur les idées articulées que repose l’acquisition du langage, il considère l’enfant qui apprend une leçon sans qu’il lui soit permis de parler à haute voix. Que fait-il ? Il lit sans doute des yeux la phrase à apprendre, mais il la répète ensuite en l’articulant tout bas, à demi. L’homme fait, qui lit silencieusement, accompagne chaque perception visuelle d’un mouvement secret d’articulation. « Mais interrogeons tous notre conscience sur ce fait de penser au moyen du langage. Prenons le souvenir d’une série très familière d’émissions vocales, de l’alphabet, par exemple. De quoi avons-nous surtout conscience dans ce cas ? D’une série d’idées d’articulations. Il se peut qu’il y ait là-dessous une série d’idées de sons ; il se peut que ces idées de sons soient le fond même et la trame de toutes ces associations ; mais il en serait ainsi, que nous ne saurions l’apercevoir et que cela ne pourrait être prouvé qu’indirectement. La même remarque s’appliquerait à d’autres cas où le langage est au service d’une opération très simple, par exemple aux opérations arithmétiques faites de tête. Lorsque nous cherchons, sans aucun secours matériel, une somme, une différence, un produit ; lorsque nous énonçons que six et sept font treize, que cinq fois neuf font

    est impossible d’analyser cette longue discussion. Ceux qui auront recours aux textes seront pleinement édifiés sur la question. On peut consulter aussi en faveur de la thèse de Bain : Carpenter, Principles of mental Physiology, p. 84, et un mémoire de Ferrier dans le West Riding medical Reports, t. III, p. 76, trad. en français par M. Duret, sous ce titre : Recherches expérimentales sur la physiologie et la pathologie cérébrales, p. 68.