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ANALYSESRousseau jugé par les Genevois d’aujourd’hui.

se soumettre ; et les confédérations d’Etats elles-mêmes répriment par la force tout essai de séparation : c’est ce qu’ont fait la Suisse vis-à-vis du Sonderbund et les Etats-Unis vis-à-vis de la Sécession… L’État s’impose de par son idée : à vrai dire, il constitue pour l’individu le premier des devoirs, et c’est pour cela qu’il a des droits si considérables. »

Toutefois « il y a une chose profondément vraie dans la doctrine de Rousseau : c’est que l’État doit être toujours plus consenti et voulu par les citoyens. L’idée collective reste l’essentiel ; mais elle doit être voulue par la nation et se combiner avec elle pour former l’État libre. Le corpus naît de cette union intime entre l’idée et la volonté générale ; ici, comme en toute chose, il faut faire de nécessité vertu. Il était bon d’ailleurs, à une époque où le despotisme régnait partout sur le continent, d’accentuer énergiquement cette idée que l’État est la propriété des citoyens, et que c’est la volonté générale qui doit gouverner… Rousseau a été ici un précurseur. Il ne suffisait pas de défendre les droits individuels et la liberté sociale : il fallait encore ramener l’État à sa source, qui est le peuple. Il fallait aussi relever ce principe que l’autorité paternelle a pour but final l’émancipation du jeune homme, et faire accepter à celui-ci les gênes de l’éducation. Le principe contractuel tend aussi à prédominer toujours plus dans les rapports entre conjoints : c’est une loi historique générale. De même encore, la pénalité doit être assez rationnelle et assez juste pour que le condamné puisse l’accepter. Tout doit être en fin de compte voulu ; tout doit devenir personnel. Or Jean-Jacques base tout sur la volonté. »


III


Dans une lettre à Philibert Cramer, écrite le 13 octobre 1764, Rousseau reconnaît avoir entrepris son livre sur l’Education pour justifier sa thèse de la bonté originelle de l’homme ; et il laisse échapper ce singulier aveu : « Vous dites très bien qu’il est impossible de faire un Emile. » La postérité s’est trouvée être du même avis. C’est moins aux vues systématiques de Rousseau en matière de pédagogie qu’aux observations de détail et aux idées neuves inspirées par la méthode de comparaison, qu’elle rapporte à bon droit le mérite de cet ouvrage. La règle suprême que Rousseau répète sans cesse : « Observez la nature, et suivez la route qu’elle vous trace, » a le défaut d’être une conception vague, une sorte d’idéal mystérieux connu du seul philosophe de la nature. Substituer à l’ « éducation positive », qui, d’après lui, étouffe les bonnes dispositions de l’enfant et lui en inculque de mauvaises, l’ « éducation négative », qui livre à elles-mêmes nos tendances primitives, déposées en nos âmes par le Créateur, toutes bonnes ou conformes au bien et à l’ordre : cette image fascinatrice, dont Rousseau est poursuivi, n’est encore que le souvenir embeUi de son propre développement. Ici, comme ailleurs,