Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
100
revue philosophique

n’avons pas à nous engager dans l’examen de cette subtile doctrine, ni à nous demander si Kant n’aurait pas eu aussi beau jeu contre celle de Fichte et de ses continuateurs ? Signalons seulement qu’en rapportant toutes les représentations de l’individu à l’action extérieure des autres êtres, elle se montre mieux en état que l’idéalisme absolu de faire à l’empirisme sa part dans la connaissance, et qu’elle s’interdit à l’avance les constructions à priori où s’égare la métaphysique de Schelling et de Hegel.

Une troisième hypothèse peut encore être tentée sur les rapports du phénomène et de la chose en soi. Kant n’a-t-il pas présenté le moi pratique, la volonté pure, la liberté enfin, comme un principe intelligible, comme le seul noumène accessible à la conscience ? Et, en même temps, n’en fait-il pas le dernier principe de la connaissance aussi bien que de l’action, le législateur de la nature comme de l’activité humaine ? N’est-ce pas achever sa pensée que d’ériger la volonté en principe absolu, de la considérer comme l’être unique qui se retrouve identique en toutes choses et que dérobent à nos sens les apparences trompeuses de la diversité phénoménale ? L’idéalisme théorique de Kant et ses aspirations réalistes se trouvent ainsi conciliés. Pas plus qu’Herbart d’ailleurs, Schopenhauer n’entend par sa métaphysique faire échec à la science expérimentale. Il laisse cette dernière exercer en pleine liberté l’empire du principe de causalité sur le monde des phénomènes, sur la réalité sensible tout entière ; et la dépendance où il se plaît à placer la pensée consciente des conditions de l’organisme cérébral montre assez que sa philosophie ne demande qu’à vivre en bonne intelligence avec le mécanisme scientifique le plus exigeant.

De ces trois interprétations, dont le dogmatisme fait également violence à la réserve critique de Kant, mais répondait aux impatiences de la pensée contemporaine, celle de l’idéalisme hégélien devait obtenir d’abord la préférence des esprits. Elle ne promettait rien moins que de livrer à ses adeptes le dernier mot de l’énigme universelle et flattait l’orgueil de la pensée humaine en l’identifiant à la pensée divine. La science historique et le génie métaphysique de son auteur ; l’ivresse contagieuse de cette spéculation sans frein, qui, selon la spirituelle expression du Dr Mises (Fechner), voyait, à son commandement, comme une autre baguette magique, « s’opérer dans le bleu l’évolution spontanée des concepts » ; enfin l’appui que l’esprit conservateur du temps y croyait trouver contre les tendances politiques et religieuses de l’esprit révolutionnaire : toutes ces causes conspirèrent à fonder parmi les philosophes et à maintenir jusqu’à la mort de Hegel l’empire, à peu près exclusif, de l’idéalisme absolu.

Mais le charme était rompu depuis longtemps pour les savants. Ils avaient vu déjà plus d’une fois, selon la prophétie de Hamann, « cette science absolue des possibles se confondre avec l’ignorance absolue du réel. » Ils se souvenaient que Hegel, vers la fin d’août 1801, n’avait pas hésité à conclure, de certaines hypothèse ? platoniciennes, qu’entre