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faut bien appuyer sur une démonstration solennelle et incontestée le jugement de supériorité que chaque belligérant porte sur soi. Un combat, en même temps qu’il est la solution d’un problème de mécanique, est une opération « d’arithmétique morale », une soustraction.

Si mécaniquement deux armées sont d’égale force, leur effectif, leurs engins militaires, leur degré d’instruction étant les mêmes, c’est la plus volontaire qui vaincra. — Mais soyons plus précis.

Une armée qui se bat est à sa nation qui la regarde et où elle se recrute ce qu’un système philosophique en train d’attaquer et de se défendre est à l’ensemble de ses partisans passifs, disséminés dans les corps savants ou dans le monde. Les citoyens restés dans leurs foyers font tous le même vœu : la victoire ; mais tous ces vœux semblables et dispersés ne forment un nombre que pour le statisticien ; cependant les soldats, les officiers n’ont pas le temps de songer à se dire : Puissions-nous vaincre ! Ils ont à chaque instant, en apparence, un but tout autre : charger leurs fusils, viser un fort, apprécier à vue d’œil une distance, etc. Et c’est avec ces unités hétérogènes que l’addition vraie s’accomplit sur le champ de bataille. De même tous les adhérents du transformisme sélectioniste ont conscience d’avoir foi en lui pendant que Darwin l’élabore et le fortifie chaque jour étudiant telle plante ou tel insecte, se livrant à mille expériences, à mille observations de tout genre durant lesquelles il recueille une infinité de faits, d’affirmations et de négations qui toutes signifient au fond : « mon système est le vrai, » quoique jamais ou presque jamais, je suppose, l’éminent penseur n’ait le loisir de prononcer ce dernier jugement. C’est pourtant dans le faisceau des propositions diverses successivement émises et coordonnées par lui, et non dans l’ensemble des adhésions toutes semblables de ses disciples épars, qu’il faut chercher la vraie quantité de foi inhérente à son système, celle qui lui permet de descendre dans la bataille rangée des théories, où telle constitution politique acclamée par cinquante millions d’hommes, où telle cosmogonie religieuse à laquelle cinq cents millions d’hommes disent amen n’oseraient affronter la lutte.

Pour supputer exactement la quantité de désir qui fait la force d’une armée et la quantité de foi qui fait la force d’un système, il faut tenir compte non pas des désirs de vaincre éprouvés par les soldats ou par la nation, non pas des actes de foi conscients en la formule finale, que le système éveille dans l’esprit de ses auteurs ou de ses partisans, mais bien des désirs de tous genres (de pain chez les fournisseurs, d’avancement ou d’honneur chez les