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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

dans la mémoire ; mais, n’étant rattaché à aucune cénesthésie, il apparaît au nouveau moi comme un étranger[1].

La digression qui précède avait pour but d’appuyer sur des raisons ce qui avait été simplement affirmé : l’amnésie périodique n’est qu’un phénomène secondaire ; elle a sa cause dans un désordre vital, le sentiment de l’existence qui n’est à proprement parler que le sentiment de l’unité de notre corps passant par deux phases alternantes. Tel est le fait primitif qui entraîne la formation de deux centres d’association et par conséquent de deux mémoires.

Pour aller plus loin, d’autres questions se posent auxquelles on ne peut malheureusement pas répondre.

1o Quelle est la cause physiologique de ces variations rapides et régulières de la cénesthésie ? On n’a émis sur ce point que des hypothèses (état du système vasculaire, action inhibitrice, etc.).

2o Quelle est la raison qui rattache à chaque forme de la cénesthésie certaines formes d’association à l’exclusion des autres ? On n’en sait rien. On peut affirmer seulement que, dans les amnésies périodiques, la conservation reste intacte, c’est-à-dire que les modifications cellulaires et les associations dynamiques subsistent : la faculté de reviviscence seule est atteinte. Les associations ont deux points de départ : un état A éveille quelques groupes, mais est incapable d’éveiller les autres ; un état B fait le contraire ; certains groupes entrent également dans les deux complexus (cas de scission incomplète).

En somme, deux états physiologiques qui par leur alternance déterminent deux cénesthésies qui déterminent deux formes d’association et par suite deux mémoires.

Pour compléter nos remarques, il est bon d’ajouter quelques mots sur cette liaison naturelle qui s’établit, malgré des interruptions quelquefois longues, entre les périodes de même nature, particulièrement entre les divers accès du somnambule. Ce fait, intéressant à plusieurs titres, ne doit être examiné ici qu’au point de vue du retour périodique et régulier des mêmes souvenirs. Si bizarre qu’il paraisse d’abord, il est logique et s’accorde parfaitement avec notre conception du moi. Car, si le moi n’est à chaque instant que la somme des états de conscience actuels et des actions vitales dans

  1. C’est ainsi que j’explique un cas de Leuret, Fragments psych. sur la folie, p. 277, souvent cité. Une aliénée qui ne se désignait que par « la personne de moi-même » avait conservé la mémoire très exacte de sa vie jusqu’au commencement de sa folie ; mais elle rapportait cette période de sa vie à une autre. De l’ancien moi, la mémoire seule avait persisté. Il y aurait beaucoup à dire sur ces désordres de la personnalité, mais cela sortirait de notre sujet.