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REGNAUD. — l’évolution phonétique du langage

critique (nº du 5 novembre 1888), de l’article de M. Psichari, reconnait volontiers lui-même combien l’espoir de celui-ci est chimérique. Il déclare très justement qu’on peut dire que, dès qu’une langue pure commence à exister, elle commence aussi à se mélanger ; car il n’y a de langue absolument pure que celle de l’individu ». Seulement, pourquoi ajouter tout de suite après : « Mais là, encore une fois, n’est pas la question » ?

Comment ? si le moindre village ne contient pas une langue pure, c’est-à-dire si, à la langue pure, ou à peu près pure, des plus anciens habitants, langue transmise par l’usage aux habitants actuels, se sont mêlés des éléments étrangers empruntés au voisinage et purs eux aussi eu égard à leur lieu d’origine, mais qui, par ce mélange même, ont donné naissance à une langue éclectique ou composite, vous trouvez que cela importe peu au point de vue de la doctrine d’après laquelle vous voyez des contaminations analogiques (entendons par là des modifications partielles et produites sur place) dans tout ce qui n’est pas supposé appartenir à la langue pure !

En admettant le caractère disparate de la langue de la plus petite bourgade, M. Henry doit l’admettre a fortiori pour une langue parlée dans toute une province comme l’Attique ; et si βένθος était la forme pure pour Athènes même, comment m’empêcher d’admettre à mon tour que βάθος ne fût la forme pure pour Colone, par exemple, ou tout autre dème de la contrée[1] ? Non seulement il n’y a aucune nécessité à voir une contamination analogique (qu’il est toujours impossible de prouver), dans l’une ou l’autre de ces formes, mais l’explication qui consiste à en rendre compte par leur création indépendante et dans des milieux différents dont les formes linguistiques en se mêlant et s’échangeant ont fini par produire un dialecte commun, est conforme à l’expérience constante et n’encourt, ce semble, aucune objection logique sérieuse.

On ne saurait donc trop répéter que la question est là même où M. Henry ne veut pas la voir. C’est à ce point de vue seulement que le principe de la constance des lois phonétiques a de l’importance pratique. En théorie, ce principe, est-il besoin de le dire, n’intéresse guère que les abstracteurs de quintessence. Mais l’importance en devient réelle, capitale même, si on part du principe pour poser en fait que dans une langue donnée tout ce qui n’est pas pur est

  1. Il importe de remarquer que βάθος est dans un rapport phonétique avec βένθος identique à celui qui existe entre τατός et le latin tentus. Ce rapport permet d’affirmer que les deux variantes grecques peuvent être considérées comme équivalentes entre elles, et qu’en tout cas leur coexistence en vertu d’un processus naturel n’a rien de surprenant et de fondamentalement irrégulier.