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c’est apparemment que les deux questions n’en font qu’une et que l’on est dans l’ignorance du mystère de la mort, parce qu’on n’a point encore pénétré le mystère de la vie. Le problème de la mort est, à tout le moins, un problème biologique.

I

Comment expliquer notre mortalité, ou, ce qui revient au même, comment rattacher la mort du vivant, qui seul, après tout, mérite le nom de mortel, à une loi dont la sphère d’application dépasse l’ordre organique ? Ainsi le problème doit-il être posé ; en le posant ainsi, d’autre part, on se heurte à une contradiction. Puisque l’idée de mort a un sens précis et enveloppe l’idée d’une vie antérieure dont l’origine est une naissance, comment espérer découvrir, en dehors des êtres vivants, quelque chose qui de près ou de loin rappelle la mort ? Si l’on pouvait dire : tout meurt, même ce qui n’est pas vivant, ou ne l’a jamais été, on parviendrait peut-être à éclaircir le mystère. Cela, le peut-on dire ? En dépit du grand nombre de chances défavorables, M. Delbœuf essayera.

On dit des morts qu’ils sont inanimés, on le dit aussi des choses. N’être plus vivant après l’avoir été, n’être pas vivant, cela revient au même. Le corps que la vie entretient, le cadavre dont s’est retirée la vie ne sont pas du même ordre ; entre eux est la différence de l’organisé à l’inorganique, si bien que l’expression familière. « aller dans l’autre monde » garderait toute sa justesse, même dans la bouche d’un matérialiste. Oubliez que, ce cadavre, il y a deux heures à peine, le souffle de la vie l’animait : chassez tous ces souvenirs dont l’intensité irrite la douleur, domptez ce sentiment : d’effroi que la conscience de l’irréparable fait surgir en nous, ne songez qu’à ce qui est, non à ce qui fut, et dites si la mort, en même temps qu’elle « nous remet devant les yeux la parfaite égalité qu’il y a entre tous les autres hommes et nous », ne nous fait point en même temps constater une autre égalité cent fois plus humiliante encore, celle du cadavre que bientôt va recevoir le cercueil et du cercueil dont le couvercle va se refermer sur lui. Mourir c’est passer du monde des êtres dans le monde des choses. On peut donc appliquer la dénomination de mort à tout non-vivant, à tout élément inorganique. Mais qu’en résulte-t-il au point de vue du problème dont la solution presse ? Nous le saurons bientôt.

Du moment que la mort ne cesse de planer sur tout ce qui vit, menaçant les uns, frappant les autres, encore qu’on n’ait point la raison de cela, l’absence de raison ne peut suffire à rendre le fait