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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

miraculeux : le miracle c’est l’inexplicable extraordinaire. Ainsi pour qu’un corps devienne cadavre, il faut qu’il ait en lui de quoi le devenir : dès lors, entre ce qui vit et ce qui ne vit pas ou ne vit plus, la différence ne va point jusqu’à l’abîme. Rien ne sert de s’en aller répétant que les deux mondes, organique et inorganique, ont entre eux un abîme, puisqu’un abîme est par définition infranchissable, et qu’à chaque instant il est franchi. Il ne peut y avoir une matière vivante essentiellement distincte de la matière brute. Déjà maint naturaliste l’avait dit, et récemment M. Prever dans sa Physiologie générale en avait tenté la preuve. Transcrivons le passage : « Comme la matière, avait dit le savant professeur d’Iéna, est la même chez les uns et les autres êtres, chez ceux qui vivent et chez ceux qui ne vivent pas, on doit éviter d’employer les expressions de matière vivante et de « matière organique ». En chimie, combinaisons organiques signifient combinaisons du carbone. Mais, physiologiquement, ces combinaisons sont aussi inorganiques, c’est-à-dire incapables, prises en soi, de vivre autant que toute autre véritable combinaison chimique… Encore moins admissible est l’hypothèse d’une matière vitale élémentaire entre tous les éléments organiques, matière qui ne se rencontrerait pas dans la nature inorganique. Car en sa qualité d’élément, cette matière devrait être indestructible, partant on devrait pouvoir la découvrir dans le cadavre ou dans le corps au moment de la mort et la retrouver dans le monde inorganique. Si l’on tentait de soutenir que cette substance vitale élémentaire s’évanouit avec l’extinction de la vie, on se mettrait en contradiction avec la loi de la conservation de la matière. L’application de cette loi physico-chimique aux processus physiologiques, exige qu’aucun élément, par le fait des opérations chimiques de la vie, ne soit modifié ni quantitativement ni qualitativement, en d’autres termes, qu’il ne subisse ni augmentation, ni diminution, ni la moindre modification de ses propriétés primitives[1]. » M. Delbœuf fait souvent songer à Preyer, non qu’il ait sa sagesse et son éloignement pour tout ce qui n’est plus de la science positive, mais s’il va plus loin, beaucoup plus loin que lui, pendant une bonne partie de la route on dirait qu’il l’a eu pour compagnon. Ainsi, non moins fortement que Preyer, M. Delbœuf insiste sur l’identité de structure entre la matière vivante et la matière brute et, s’il ne cédait à de vieilles habitudes de langage, il répudierait ces épithètes de vivante et de brute décidément impropres. La matière ne vit pas, mais l’être. Et c’est l’être qui meurt

  1. W. Preyer, Éléments de physiologie générale, pp. 145 et 146 de la traduction française. Paris, Alcan, 1884.