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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

cet aphorisme renouvelé de Hobbes : atomus atomo lupus[1]. Or, si l’atome est un loup pour l’atome, et qu’à s’exprimer ainsi, on parle, non au figuré, mais au propre, c’est que l’inorganique, loin d’être l’opposé de l’organique, n’en est que le plus bas degré ; c’est que le non-vivant est vivant en quelque manière, c’est que le passage de la vie à la mort n’a rien qui doive surprendre : en ce moment-là s’accomplit l’une des transformations innombrables de la matière. Cela que nous appelons mourir dans notre langage s’appellerait se transformer dans le langage de la nature, si cette grande indifférente qui est en même temps une grande ignorante pouvait parler. Et maintenant, pour arracher à cette nature le secret de la mort, il suffira de savoir quelle loi préside aux transformations de la matière.

Parmi les innombrables combinaisons des corps, les unes sont relativement stables, les autres relativement instables ; le chlorure d’azote par exemple, substance extrêmement explosive, ne demande qu’à laisser échapper le travail renfermé en elle ; c’est là un symptôme d’instabilité. Pour obtenir du chlorure d’azote, on fait passer du chlore en excès sur de l’ammoniaque ; il lui prend son hydrogène et forme avec cet hydrogène de l’acide chlorhydrique, c’est-à-dire un produit dont la stabilité prime celle du gaz ammoniaque. Il reste du chlore disponible : je me trompe, il n’en reste pas, puisque le chlore qui était de trop s’unit, sous l’influence de la chaleur dégagée, à l’azote devenu libre. Ainsi, deux corps se forment : l’un relativement stable, plus stable que ceux à l’aide desquels on l’a formé, l’autre relativement plus instable, et de beaucoup. Généralisons l’expérience, nous obtiendrons une loi générale d’une portée presque sans limites. « Dans le fait, écrit M. Delbœuf, en chimie générale, on n’obtient jamais de substance instable, par synthèse directe, mais toujours en passant par un phénomène de double décomposition accompagné d’une production de stable. Cette équation généralisée nous fournit la relation générale qui relie les quantités de stable et d’instable résultant de toute réaction. Elle nous montre qu’une certaine quantité d instabilité disparaît toujours des substances réagissantes, et que de la stabilité apparaît dans les produits[2]. »

De cette loi chimique faites, par hypothèse, une loi de l’univers ; observez, pour avoir raison de vos scrupules, que partout où il y a de l’être il y a de l’inorganique, que par suite les lois de la chimie sont partout présentes et partout agissantes, et vous serez bien près de souscrire à ce principe de la fixation de la force qui joue, dans la cosmogonie de M. Delbœuf, le rôle de premier principe.

  1. La matière brute et la matière vivante, p. 25.
  2. Loc. cit. p. 59.