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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

Et M. Delbœuf ayant rappelé ces faits d’expérience se complaît à en faire jaillir des conclusions inattendues : oublions-les toutes, en ce moment, à l’exception d’une seule : « L’ensemble des choses marche vers un terme fatal. » L’arrêt est prononcé et cet arrêt que l’on avait à cœur d’obtenir condamne l’univers à une mort inévitable. La mort est le terme du transformable, et comme l’aptitude à se transformer a un terme, la mort est le point d’arrivée vers lequel tout ce qui est s’achemine. Les êtres ne meurent point parce qu’ils vivent : ils meurent parce qu’ils sont, ne disons plus omnes morimur comme disaient les Latins, mais omnia morimnur en nous exprimant au neutre.

Nous voilà en possession d’un commencement de preuve : il s’agissait de rattacher la nécessité de la mort à une loi plus que biologique ; on vient de le faire. N’avons-nous pas lieu d’être satisfaits ?

II

Il s’en faut que nous ayons lieu de l’être. Si la mort cesse d’être pour nous un lugubre miracle, ce n’est qu’au prix d’un autre miracle bien autrement extraordinaire : voilà que maintenant c’est la vie qui devient inintelligible. Tout à l’heure, on cherchait le pourquoi de notre durée si courte. Maintenant, c’est de notre naissance que le pourquoi se trouve sans réponse. En effet, du moment où la quantité de l’être transformable, loin de rester la même, diminue d’instant en instant, plus le temps marche, plus il faut que l’univers se dépeuple. Or il reste peuplé de vivants et le nombre des morts n’excède pas celui des naissances. Ce n’est pas tout et voici le plus grave : l’univers n’a pas toujours été peuplé, ainsi la tradition religieuse nous l’enseigne et les transformistes, dont tous n’ont pas cessé de croire à la Genèse, considèrent l’apparition de la vie comme au moment de l’évolution, postérieur à la création du monde si tant est que le monde soit l’œuvre d’une puissance créatrice. M. Spencer n’a-t-il pas écrit un gros livre pour déterminer le sens de l’évolution et montrer que cette évolution se fait du simple au complexe, de l’homogène à l’hétérogène, du plus parfait au moins parfait dirait Leibniz, de l’inférieur au supérieur dirait un philosophe contemporain. Or, le vigoureux penseur qui depuis cinquante ans enseigne dans les universités suisses garde intacte sa foi de chrétien et prend à son compte la formule de M. Spencer. À cela près que M. Secrétan répudie l’éternité du procès évolutif, rien ne le choque dans les « Premiers principes » de M. Spencer. Voici donc la difficulté : la vie ne peut être aussi ancienne que le monde, elle a commencé. Or, si l’évolution