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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

D’une part, en effet, il faut que les vivants meurent ; d’autre part, il faut que, pour se manifester en tant qu’êtres vivants, même pendant la plus courte durée imaginable, des phénomènes de nutrition s’accomplissent. Qui dit nutrition dit réparation, qui dit mort dit exactement le contraire et la notion de mort touche à celle d’irréparable. Or la raison d’être de la nutrition est l’entretien de la vie, la réparation des brèches de l’organisme ; on va même jusqu’à dire que, par elle, les parties de l’organisme sont incessamment remplacées les unes par les autres, renouvelées. Ainsi pensent la plupart des biologistes. À les supposer dans le vrai, la mort redevient inintelligible ; et il y a conflit entre la loi universelle de fixation de la force qui veut la mort pour tous, et le mode suivant lequel la nutrition s’accomplit. La loi physique et les lois biologiques semblent se contredire. Comment M. Delbœuf s’y prendr-t-il pour faire évanouir la contradiction ?

« Les êtres vivants, écrivait Claude Bernard, ont pour caractère essentiel d’être périssables ou mortels. Ils doivent se renouveler et se succéder, car ils ne sont que des représentants passagers de la vie qui est éternelle. L’évolution d’un être nouveau ainsi que sa nutrition sont de véritables créations organiques qui s’accomplissent sous nos yeux. L’organisme, une fois développé, constitue une machine vivante, qui, en même temps qu’elle se détruit et s’use sans cesse par l’exercice de ses fonctions, se répare et se maintient, au moyen des phénomènes de nutrition, pendant un temps variable, mais dans des limites que la nature lui a tracées à l’avance[1]. » Pourquoi ces limites ? et comment la nature s’arrange-t-elle pour les tracer à l’avance : la Mort, disent les poètes, vient à pas lents ; nous la voyons alors seulement qu’elle achève, ou qu’elle est sur le point d’achever son œuvre. Avant que l’homme meure, bien des hommes sont morts en lui. La mort a ses prodromes, la maladie chez les uns, chez les autres la vieillesse, et la décrépitude ; et jamais, même dans les cas où l’on dirait qu’elle tombe sur nous à l’improviste, son irruption n’est soudaine. Bref la mort est une véritable fonction, et il faut ne s’attacher qu’aux apparences pour être en droit d’ajouter : la dernière de toutes.

La conclusion arrive d’elle-même : le vivant porte en lui des germes de mort, et c’est vers la mort qu’il marche, bien que constamment il avise aux moyens de la tenir en échec. Et il ne sera point malaisé d’en obtenir les preuves. À la vieillesse et à la maladie s’ajoutent un grand nombre de faits connus de tous, et qui établis-

  1. De la Physiologie générale, p. 130. Paris, Hachette, 1872.