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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

l’expérience ne pourrait jamais fournir de preuves inattaquables.

L’observation ne pourrait jamais atteindre les dernières particules, et l’on sera toujours libre de nier l’universalité des changements partiellement constatés. Il suffit en effet qu’un grain de matière subsiste pour que l’opinion que je défends soit sauve. Or qui voudrait prendre sur lui d’établir que Ce grain n’existe nulle part[1] ? Qui voudrait prendre cela sur lui ? Mais tous ceux qui défendent le renouvellement intégral et fondent leur opinion sur des analogies de l’expérience.

On souhaiterait d’être biologiste pour discuter sérieusement une opinion si contraire à l’opinion reçue. Fort heureusement M. Delbœuf nous a donné l’exemple en opposant aux affirmations courantes de simples négations gratuites, et c’est à dessein que nous les appelons gratuites, car les faits invoqués pour leur servir d’appui sont des faits qui courent les rues. Comment donc espérer qu’ils portent en eux des conséquences restées si longtemps inaperçues ? Les partisans de M. Delbœuf répondraient à cela que lorsque Newton vit tomber la pomme légendaire, il y avait beau temps que les pommes tombaient, ce qui n’empêchait point les hommes d’ignorer l’attraction. Mais nous croyons, quant à nous, les deux découvertes incomparables. Pour découvrir la loi de l’attraction universelle, il faut être mathématicien d’abord, ensuite mathématicien de génie. Pour ériger la vieillesse, la durée des cicatrices, les lésions irréparables, en argument contre l’opinion traditionnelle du renouvellement intégral, il suffit de constater le fait, ce qui est toujours facile, et de lui rattacher comme à un principe une conclusion arbitraire, ce qui ne l’est guère moins. On pourrait, il est vrai, mettre l’argumentation en syllogisme et dire : la théorie de la matière fluente implique la réparation totale des forces et des organes ; cette réparation n’a point lieu ; donc la théorie est fausse. Mais c’est la majeure du syllogisme qui, elle, est sinon fausse, du moins plus que problématique. M. Delbœuf aurait dû la rendre apodictique ; il a oublié même de la rendre assertorique.

Nous aurons encore à contredire M. Delbœuf, là où, désireux de faire accepter sa théorie du renouvellement partiel, il soutient, avec plus de facilité que de force, que cette théorie seule rend compte de l’identité psychique. Ici encore, il faut tout citer : « C’est par une habitude machinale que je prends ma canne quand je sors de chez moi pour humer l’air. Mon chien voit mon geste, a soudain l’idée d’une promenade à laquelle il compte bien être invité — habitude

  1. P. 111.