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thèse de la matière fixe n’aurait eu l’occasion d’éclore. La curiosité, l’impatience de résoudre l’énigme finale, voilà l’origine psychologique de cette théorie, à laquelle le nom de théorie convient à peine, puisque M. Delbœuf ne trouve pour la défendre que des raisons banales, des faits de l’ordre commun. On comprend qu’il ait voulu l’appuyer sur des arguments plus solides ; que devant l’insuffisance des réponses de la biologie il en ait demandé d’autres à la psychologie générale et que dans son empressement de les obtenir “il ait cru trop facilement qu’elles allaient lui être fournies. Nous avons surpris le raisonnement servant à établir l’impossibilité du renouvellement partiel. Un raisonnement analogue établira qu’avec de la matière fluente, rien que fluente, la vie psychique, telle que nous la connaissons, reste une indéchiffrable énigme.

On y peut distinguer, en effet : une partie mobile, ce sont les idées éphémères traversant l’esprit à la façon d’un météore, les pensées qui ne viennent qu’une fois, les ébauches de conceptions dont l’intensité ou la durée est assez courte pour que la réflexion ne puisse s’en emparer ; une partie stable, les souvenirs susceptibles d’être remémorés par l’attention, ou de réapparaître dans le champ de la conscience à la suite des perceptions, les tendances dont le développement constitue le caractère, et par suite les habitudes ; puis les habitudes ancestrales ; puis, enfin les traits généraux de l’espèce dont l’individu est le représentant ; tout ceci est de sens commun ; ce qui cesse de l’être c’est l’opinion préconçue de M. Delbœuf, c’est son obstination à ériger le stable psychique ou biologique en signe d’un stable matériel ou physique correspondant. Or l’idée d’une telle correspondance a vraisemblablement eu pour origine, non la réalité des habitudes, des tendances héréditaires, des caractères spécifiques manifestés dans l’individu, mais bien la réalité de la mort que M. Delbœuf jugeait inexplicable dans l’hypothèse du renouvellement intégral. D’une pierre il a fait deux coups et celui qu’il voulait frapper tout d’abord, il semble ne le frapper qu’après l’autre : l’ordre d’exposition des idées est l’inverse de celui de leur invention. Ainsi en jugeons-nous, tant il nous paraît étrange qu’un philosophe généralement éloigné des solutions matérialistes, ait cru ne pouvoir expliquer la permanence psychique sans recourir à l’hypothèse gratuite d’une permanence matérielle.

Cette hypothèse, ne craignons point de le dire, prend sa source dans un tour d’imagination matérialiste dont il ne serait pas impossible d’ailleurs de trouver quelque autre symptôme dans les précédents livres de M. Delbœuf. Ainsi par exemple, quand il réfute le déterminisme, il est uniquement préoccupé de le combattre sur le