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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

terrain de la liaison mécanique des phénomènes, du déterminisme externe. De là vient que sa démonstration du libre arbitre n’est qu’une moitié de démonstration. Le déterminisme mental, on dirait qu’il ne le soupçonne point ; il lui suffit, pour que l’homme soit libre, de l’affranchir du déterminisme physique. Ici, dans le livre sur la Matière brute, etc., on retrouve les effets de cette méthode qui, pour comprendre les phénomènes d’ordre mental, en cherche la raison d’être dans les propriétés de l’objet. Pour que le sujet se sente identique il faut que la conscience de cette identité repose sur une portion de matière fixe. Voulez-vous vaincre le déterminisme ? Attaquez le déterminisme physique et quand vous l’aurez mis en déroute, déposez tranquillement les armes. Voulez-vous démontrer l’identité psychique ? Attaquez les partisans de la matière fluente. C’est donc « le physique » qui serait la raison dernière « du biologique et du psychique » ? Mais si telle est la vraie pensée de M. Delbœuf, et nous serions fort embarrassés de lui en attribuer une autre, comment ne point le ranger au nombre des substantialistes et des matérialistes, tout ensemble ? Et il n’y a point contradiction.

Qu’est-ce en effet que le substantialisme ? Une hérésie métaphysique dont l’expérience sensible est la source ; souvenez-vous de la cosmogonie populaire des premiers peuples de l’Inde, de la terre reposant sur un éléphant qui, lui-même, repose sur une tortue. L’habitude de voir les objets reposer sur des tables, les plantes sur le sol, les animaux, pour se suspendre, chercher un point d’appui quelque part, voilà l’origine de cette notion de substance, qui d’abord, née de Ja considération des choses matérielles, s’est insensiblement épurée, spiritualisée. M. Delbœuf appartiendrait-il à la catégorie de ces substantialistes primitifs dont l’espèce s’est perdue dès les commencements de la philosophie grecque ? Et comment s’y prendre pour le mettre à l’abri d’un si singulier reproche ?

Peut-être, cependant, avons-nous mal saisi la pensée de l’auteur, et en lui cherchant une querelle de métaphysicien nous sommes-nous mal rendu compte de ses intentions. Lorsqu’il traitait à part lui le problème de la matière fluente et de la matière fixe songeait-il à la substance ? Aucunement. Il se proposait d’expliquer d’une part nos instincts, nos souvenirs, d’autre part et principalement, la fatalité de la mort. — Nous n’y contredisons pas. Mais nous sommes de cet avis que, pour aborder la question de la substance, il n’est nullement nécessaire de l’aborder en face et de propos délibéré. Bon gré mal gré tout ceux qui s’occupent de philosophie générale ont leur opinion sur la substance, et celle de M. Delbœuf nous cause quelque surprise. On a beau faire, il semble bien difficile de ne point voir