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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

moins aider le philosophe ou le naturaliste à déchiffrer l’énigme de la mort.

La mort fauche et emporte pour toujours ceux qu’elle a fauchés : son œuvre est irréparable. Une fois réduit à la condition de cadavre, le corps ne peut plus revivre ; la machine est usée elle est au rebut. Ainsi parle-t-on en présence de la mort, et c’est le commentaire du mot de Pascal : « En voilà pour jamais. » Puis, venant à songer, non à ces morts prématurées, coups imprévus de la nature, mais à ces morts dont la préparation commence longtemps avant la dernière heure, à ces mots précédés d’affaiblissement, de sénilité, de langueur, de déperdition progressive d’intelligence et de mémoire, la comparaison s’impose des machines humaines avec les machines fabriquées par les hommes ; celles-ci comme celles-là, ne durent qu’un temps, parce qu’elles ne sont pas indéfiniment réparables.

Cette comparaison est naturelle, inévitable. A-t-on le droit de la convertir en raison ? Voici une cheminée dont le feu est éteint : elle a consumé son charbon. Voici une machine privée de mouvement ; l’ouvrier qui la surveillait est tombé malade, de là vient qu’elle ne marche plus. Deux causes différentes peuvent déterminer un même effet. Interrogez un vitaliste de l’École de Montpellier, demandez-lui ce que c’est que la mort : il répondra qu’elle résulte soit d’une rupture, soit d’un épuisement progressif des « synergies vitales communes ». Ici c’est l’ouvrier qui manque à la machine. Interrogez M. Delbœuf : il vous répondra que les matériaux de l’organisme ne peuvent être constamment renouvelés : ici c’est le combustible qui manque. Laquelle des deux explications prévaudra ? ni l’une ni l’autre, car ni l’une ni l’autre n’atteindra le but. Toutes deux auront le mérite de développer littérairement, qu’on nous passe cet adverbe, un fait d’expérience ; toutes deux à cette proposition devenue banale : « nous sommes tous mortels », essayeront de substituer une figure. La première, pour que notre imagination se mette de la partie, nous rappellera de loin les façons de parler fréquentes chez l’auteur des Dialogues, l’âme, le principe vital, sera le pilote, le corps sera le navire, et nous comprendrons qu’en l’absence du pilote ou s’il meurt, le navire ne peut plus prendre la mer. La seconde figure, de beaucoup la moins poétique, ce qui entre parenthèses ne lui confère aucun titre à notre préférence, consistera dans l’assimilation du corps à une machine et à une machine dont le mouvement cesse quand la force motrice lui manque ou que les ressorts en sont usés.

Et après, en saurons-nous plus long ? Serons-nous en mesure : de pouvoir prendre, au sens littéral, les mots d’usure et de décrépitude ? Aurons-nous pénétré le mystère de la mort ? Pas plus que nous n’avons