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pénétré le mystère de la vie, je veux dire, pas plus que sur ce dernier point, nous n’avons fait avancer la science. Le problème de la vie reste encore engagé dans la métaphysique ; et par suite, le problème de la mort, en dépit des tentatives de M. Delbœuf, n’est pas près d’en sortir.

Nous mourons, selon M. Delbœuf, parce qu’il faut que tout meure et que nos machines vivantes ne sont pas indéfiniment réparables. Et cependant une autre difficulté se dresse, en admettant encore une fois que les précédentes se soient évanouies.

Nous mourons, sans doute, mais en mourant nous laissons d’autres êtres nous survivre : dès lors on peut se demander si la mort des individus n’a pas sa raison d’être dans un dessein providentiel dont la portée s’étendrait bien au delà de la destinée des personnes. Les pessimistes ont répondu, avec Schopenhauer, que l’essentiel, en ce monde, est la perpétuité des espèces et des races, que la nature fait tout pour celle-ci, rien pour les individus. Figurons-nous maintenant un biologiste à l’imagination féconde, ce qu’est assurément M. Delbœuf, et demandons-lui d’écrire sur ce thème des variations susceptibles d’être entendues et goûtées par ceux qui ignorent tout autre langage que celui des sciences naturelles, voici très probablement ce qu’il nous contera. Il nous rappellera sa théorie du renouvellement partiel et nous fera remarquer que du moment où l’on a désaccoutumé d’imaginer un organisme soumis au renouvellement intégral, on est bien près d’admettre que dans les corps vivants certaines parties se trouvent ayant existé bien avant sa naissance et à titre d’éléments vivants ; qu’une portion de la matière non fluente est due à l’alimentation de l’animal, qu’une autre est due à des apports d’une date extrêmement reculée, bref, que si nous héritons de nos ancêtres, c’est qu’avec leurs aptitudes psychiques et physiques, nous héritons d’un certain noyau, véhicule de ces tendances ancestrales. Ils sont morts, nos aïeux, mais Ce noyau, qui a passé de père en fils et qui passera, au moyen de l’acte générateur, du corps des fils dans celui des petits-fils et ainsi de suite jusqu’à l’extinction de la race, a une durée supérieure à celle des individus : ce noyau, c’est, croyons-nous pouvoir dire, le génie de l’espèce incarné. Ajouterons-nous que l’on ne saurait pousser plus loin que M. Delbœuf l’idolâtrie de la cause matérielle ? Dans sa très curieuse étude sur le Sommeil et les Rêves, nous avons lu comment ce noyau se forme, se transmet, et en se transmettant se fragmente en laissant aux parties qui s’en détachent quelques-unes des tendances dont il est le support. Dans la Matière brute et la Matière vivante, c’est le même roman biologique et les procédés en sont toujours les mêmes. S’emparant de cette formule