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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

spinoziste et leibnitienne tout ensemble : « Ce qui est dans l’âme est représenté dans le corps », l’auteur la travestit en cette autre formule : « Ce qui persiste dans l’ordre spirituel implique nécessairement la persistance d’un substratum matériel. » Voilà le nerf caché de la philosophie biologique de M. Delbœuf : voilà d’où vient qu’il défend à notre corps de se renouveler intégralement toutes les sept années, voilà d’où vient que pour rendre compte des phénomènes de transmission héréditaire il imagine ce noyau véhicule, cette parcelle d’élément organique sur laquelle est inscrite l’histoire passée et future de toute une famille, de toute une espèce.

Et maintenant il va nous dire le secret de la mort. Nous mourons parce que la vie de l’individu n’a d’autre raison d’être que la procréation : la mort vient quand la vie a été transmise : l’amour et la mort sont frères, a dit le poète, et M. Delbœuf entend bien ne pas dire autre chose. Mais pourquoi tant d’êtres survivent-ils à l’extinction de leur capacité procréatrice ? « Par un reste d’habitude invétérée. »

La nature leur accorde un sursis, mais d’eux elle ne soucie guère : quand viendra l’heure de mourir, j’excepte bien entendu, ceux dont la mort est prématurée, il y aura beau temps qu’ils seront entrés dans le cadre de réserve, disons mieux, qu’ils auront reçu leur mise à la retraite. Ne nous plaignons donc pas de la mort et ne l’accusons point d’arriver trop vite : félicitons-nous plutôt des longs crédits qu’elle accorde à la majorité des hommes. Et puis, mourons-nous au sens propre du terme ? Oui et non : oui, car l’individu se dissout ; non, car l’espèce demeure. Mais ce qu’il y a de réel dans l’individu c’est ce qui en lui est le moins impersonnel, c’est le type dont il n’est qu’un exemplaire provisoire. Le roi est mort, vive le roi ! Et qu’importe cette mort, du moment que la royauté subsiste ! En un trimestre trois souverains ont occupé le trône impérial d’Allemagne et les traditions de la politique allemande sont demeurées. Il y a donc quelque chose de supérieur aux individus, quelque chose de plus fort que la force d’un homme : ce quelque chose c’est la tradition de la race, c’est le caractère de la famille que l’extinction du dernier représentant mort sans laisser d’héritiers peut seul amener à disparaître. Ainsi, sans être immortels, nous sommes assurés de traverser plusieurs siècles pourvu qu’il nous plaise de détacher notre pensée de ce moi fragile et éphémère et de n’attacher Je prix qu’à l’héritage dont nous sommes ici-bas les dépositaires momentanés.

Cette doctrine est à la fois métaphysique et biologique : nous en avons examiné la valeur métaphysique et nous l’avons jugée superficielle. Nous sommes bien près de croire qu’il en est tout autre-