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ment de la valeur biologique, qu’il y a plus que des qualités d’imagination dans les idées nouvelles sur la transmission de la vie, sur la persistance des caractères de la race : nous pensons aussi que cette tentative d’expliquer la mort par « la différenciation des organes », mériterait l’honneur d’une discussion sérieuse, mais il faudrait être naturaliste pour l’entreprendre. Contentons-nous de l’exposer.

Les êtres inférieurs, on le sait, se reproduisent par segmentation. Au fur et à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie des êtres, le modèle de génération se complique. Chez les monères, il n’y a point mort, à proprement parler, puisqu’il n’y a point de cadavre : il ya multiplication par division, il y a perte d’individualité consciente. Au lieu d’une monère nous en avons maintenant deux ; du point de vue mental, on peut les définir deux nouveau-nés (la mère est morte, son individualité consciente a disparu). Du point de vue physique, rien n’a disparu au contraire. Passons des organismes simples aux organismes complexes : là se trouve une multiplicité d’organes et par suite une multiplicité de fonctions. Ces fonctions varient en importance.

La fonction génératrice est celle dont l’importance prédomine ; les autres n’existent qu’en vue de celle-là. Comment s’accomplit la génération ? Entre la génération par sexualité et la génération par fissiparité l’écart paraît immense, il n’est qu’apparent. Tout à l’heure nous voyions une seule monère produire deux rejetons sans laisser de cadavre : chez les êtres riches en organisation, il y a cadavre ; mais dans ce cadavre, plus rien ne reste de ce qui s’est transmis dans l’acte générateur[1]. Le « noyau ancestral » a changé de demeure. Mais puisqu’il s’est déplacé, qu’il a passé d’un organisme dans un autre, celui où il n’est plus peut disparaître. Si la fonction génératrice était la seule, la génération s’opérerait par division et il n’y aurait point de cadavre, sauf accident imprévu ou destruction brusque, parce que le passage de l’état de corps vivant à l’état de corps mort entraînerait la disparition de la fonction et par suite celle de l’espèce. Du moment qu’à cette fonction d’autres s’ajoutent, du moment qu’autour du noyau des organes se forment pour le protéger et le défendre contre les influences destructives, la vie de l’individu doit durer tant que persistera l’aptitude à transmettre la vie. Une fois cette aptitude éteinte, l’individu, ayant rempli

  1. Il faut en excepter, bien entendu, le cas des morts prématurées, qui sont de véritables destructions, comme le serait, par exemple, la destruction d’une monère dont on arrêterait ainsi brusquement l’évolution. Dans ce cas, il serait vrai de dire qu’il y a cadavre.