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analyses. — g. von gizycki. Moralphilosophie, etc.

humaine. C’est à cette œuvre d’affranchissement que se sont consacrées les Sociétés américaines de culture morale dont M. de G. apprécie si hautement les efforts. Aussi n’est-ce pas tant l’insuffisance théorique des fondements théologiques de la morale que leur inefficacité ou même leurs dangers pratiques qu’il s’applique à montrer.

Suivant lui la préoccupation de la vie future paralyse la vie présente et la dénature, affaiblit nos affections en nous faisant croire qu’elles ont l’éternité devant elles. « La sagesse est la méditation de la vie, non de la mort », dit Spinoza, et les chapitres de M. de G. sont un vigoureux commentaire de cette pensée. Pourtant, ajoute-t-il, la pensée de la mort a, elle aussi, son utilité ; seulement au lieu de nous conduire à une stérile contemplation d’un au-delà problématique, elle doit au contraire nous stimuler à employer le plus activement possible la vie présente, la seule dont nous soyions bien sûrs de disposer. C’est comme le pari de Pascal retourné : ne compromettons pas des intérêts très certains, très réels, pour des intérêts très incertains, si grands qu’ils puissent être. La prière, elle aussi, paralyse l’activité ; elle atténue le sentiment de la responsabilité et substitue à des efforts efficaces une passive confiance dans un secours étranger. L’optimisme naïf qui rapporte tout à la providence est à la fois pernicieux parce qu’il rejette inévitablement sur Dieu le mal lui-même et nous le rend indifférent ou même respectable ; et ingrat parce qu’il reporte sur Dieu aussi la reconnaissance due aux bienfaiteurs de l’humanité. Ajoutons enfin la déplorable habitude de crédulité favorisée comme une vertu par toutes les théologies, les dangers de la croyance à la rémission des péchés, la substitution souvent remarquée de vertus théologiques conventionnelles aux vertus morales vraies, et nous aurons résumé les principaux griefs de M. de G. contre la morale théologique.

Le réquisitoire est sévère. Mais M. de G. est adversaire déclaré de tout compromis ; il l’est avec le généreux W. K. Clifford, l’ardent apôtre de la sincérité à outrance dont il commente quelques belles paroles dans son chapitre sur le Peuple et la foi. Les fins politiques qui, dans leur incrédulité, veulent maintenir la « religion pour le peuple » sont aussi naïfs que peu scrupuleux. Car le temps est passé des doctrines secrètes réservées à une élite. Comme la vérité, le discrédit d’une croyance pénètre inévitablement jusqu’aux plus humbles rangs de la foule.

Toutes ces pages, on le voit, respirent une parfaite confiance dans la puissance et les effets bienfaisants de la vérité, une foi robuste et saine dans le sens et le prix de la vie ; elles contrastent heureusement avec les négations des pessimistes qui le réduisent à néant, et celles des mystiques qui le placent en dehors de la vie elle-même.

IV. — Ce n’est pas seulement de la théologie que M. de G. veut affranchir la morale, mais aussi de toute métaphysique de la nature. C’est l’objet du dernier chapitre sur la nature et la morale, qui rappelle en plus d’un point la belle étude de Stuart Mill sur la même question.