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On a fondé la moralité sur la conformité à la nature. L’auteur attaque cette thèse en niant toute finalité. La finalité, elle vient de nous. D’ailleurs, la nature eût-elle des fins, serait-ce une raison qui nous obligeât à y collaborer, si elles nous étaient contraires ? Nous travaillerions aux fins de la nature parce qu’elles nous sembleraient bonnes, et non parce qu’elles seraient les fins de la nature. — Restreindra-t-on cette conception finaliste à la nature humaine, la moralité consistera-t-elle à suivre les fins de notre nature ? Mais par naturel on ne pourra alors entendre ni le primitif, car c’est l’imparfait, ni le non artificiel, car en un sens tout perfectionnement gagné sur la nature est artificiel. Ce sera donc l’idéal ? Mais alors la pétition de principe est évidente. La nature n’a rien de moral, c’est à nous de l’idéaliser. La loi de sélection ne saurait nous remplacer dans cette tâche. Le Christ est crucifié, Socrate boit la ciguë, Bruno monte sur le bûcher : la loi de sélection n’en est pas démentie, car ils n’étaient pas les mieux adaptés. Cette observation, pour intéressante qu’elle soit, soulève peut-être plus de difficultés qu’elle n’en résout. Au-dessus des forces brutes s’élèvent dans la société, dégagées par la vie sociale elle-même, des forces morales qui y jouent un rôle de plus en plus prépondérant et qui, elles aussi, participent à la sélection. Comment la sélection opère-t-elle pour les dégager ; comment ensuite, à la sélection brutale que M. de G. trouve, avec raison, moralement insuffisante, une sélection morale et sociale, mais naturelle encore, se superpose-t-elle ? Voilà des questions que M. de G. provoque et auxquelles il ne nous paraît pas donner une réponse suffisante. La lacune se sent d’autant mieux qu’il reconnaît l’importance sociale de la sélection. Il affirmait au début que l’homme découvre la morale et ne l’invente pas ; il affirme dans sa conclusion une certaine concordance entre les lois naturelles et les lois idéales. Comment dès lors sépare-t-il à ce point ici la nature et la morale ? Comment ne songe-t-il pas plutôt à montrer exactement ce qu’il y a de naturel dans la morale ? Car, enfin, si la morale corrige et dépasse la nature, ce ne peut être qu’en s’appuyant sur elle. Il faut qu’elle soit un résultat pour devenir un principe, un fait avant de fournir un idéal, un produit avant d’être une cause ; il faut que la nature la suggère avant de pouvoir être pliée à ses fins. D’ailleurs ce n’était plus ici la métaphysique, mais la science de la nature dans ses rapports avec la morale qui se trouvait en question, et si la première pouvait justifier les défiances de M. de G., il n’en était peut-être pas de même de la seconde. M. de G. ne nous semble pas avoir distingué suffisamment ces deux faces si différentes du problème qu’il examinait.

L’auteur conclut à l’indépendance de la morale et surtout à celle de la personne morale. L’homme s’appartient à lui-même. Il n’est l’instrument ni d’une divinité ni d’une nature. « En dehors de l’homme, écrit M. de G., la nature n’offre pas le caractère d’un être moral. Cependant le bien seul y est solide et durable, le mal doit en disparaître… Il n’est pas de loi idéale qui ne soit sanctionnée par les lois naturelles de la vie…