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conscience. Chemin faisant, elle critique, avec raison selon moi, l’analogie qu’on a voulu établir entre les influences sociales et la suggestion proprement dite. « Il en est tout autrement, écrit-elle (p. 156), de l’assimilation des opinions et des idées puisées dans la commune vie historique, et de celles qui sont suggérées dans l’hypnose. Celles-là se sont ajoutées l’une à l’autre lentement, comme les cellules qui constituent la croissance de notre corps. En outre, elles sont modifiées et repétries conformément aux dispositions et au naturel de chacun. De ces actions combinées, aussi bien que des composants morphologiques des figures cellulaires héritées, résulte la représentation centrale de l’individualité, dans laquelle la représentation suggérée n’est qu’une transfusion, et qui plus est imposée par la contrainte. En même temps donc que la suggestion à long terme semble être une atteinte inquiétante à l’ordre humain, elle ne sert qu’à augmenter inutilement cette « angoisse », qui est, selon la belle expression de Schelling, « le sentiment fondamental de tous les êtres ».

Dans son étude sur les sensations en général, Mile Rubinstein s’efforce d’abord de distinguer les sensations (Empfindungen) des sentiments (Gefühle). Dans la sensation même elle distingue : le contenu, la quantité, le ton (retentissement dans la vie totale comme action d’arrêt ou d’excitation, comme peine ou plaisir). Les nerfs, dit-elle, sont des isolateurs, ils spécialisent les impressions. Mais elle rejette, avec Lotze et Wundt, la théorie d’une « énergie spécifique » des nerfs, proposée par J. Müller et si longtemps acceptée, et ne reconnaît que des états nerveux différents (Volkmann). Si le contenu de la sensation dépend de la conduction par les nerfs, la quantité dépend de l’intégrité, de la santé de l’organe. Quant au ton, elle reproche à Purkinje, à Lotze, à Spencer, et aux psychologues plus modernes, Höffding et Kröner, d’avoir attaché à la sensation, par l’emploi de ce mot Ton, Accent, le caractère du sentiment. Accentuation, retentissement (Betonung}, lui sembleraient des termes plus justes ; le sentiment est un fait psychique. « Combien, dit-elle (p. 171), il serait à souhaiter que l’on mit fin à cette confusion terminologique, et qu’on adoptat la distinction si juste de Herbart, d’après laquelle les sentiments sont des phénomènes qui appartiennent à la vie représentative. Le plaidoyer de Nahlowsky et sa claire délimitation des domaines du sentiment et de la sensation sont plus convaincants que la vive polémique dirigée contre elle par Kröner. »

Laissons la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, et venons au toucher. Mlle Rubinstein y reconnaît deux couples de sens : le premier, le sens du toucher et le sens musculaire, qui nous mettent en rapport actif avec le monde extérieur ; le second, le sens du corps (Körpersinn) et le sens général, la cénesthésie (Gemeingefühl), qui sont passifs. Je ne dirai rien du premier couple, sinon que Mlle Rubinstein attribue à la main notre connaissance de la troisième dimension. Quant au second couple, elle reconnaît la difficulté de montrer la différence entre le sens du