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vie, Lebenschule, et qu’il appelle aujourd’hui la nouvelle « école allemande[1] », école d’où serait exclu, comme vraiment spécial, l’ancien programme classique. Vaihinger a répondu à Preyer en un discours prononcé à Cologne, le 22 septembre dernier, devant le même auditoire ; il s’y place sur le terrain de son adversaire, et prétend justifier les études classique par la philosophie de la nature et par celle de l’histoire. C’est toujours la « question du latin », mais très agrandie et portée cette fois au tribunal de l’évolution, du darwinisme. Ainsi cette querelle pédagogique intéresse directement la philosophie, puisqu’il s’agirait d’une application des données scientifiques à l’enseignement public.

Le principe invoqué par M. Vaihinger, c’est la répétition abrégée de la phylogenèse dans l’ontogenèse, c’est la loi du développement parallèle de l’individu et de la race. « L’individu humain, écrit-il, doit parcourir et répéter, dans son développement physique et psychique à la fois, les mêmes degrés que ses ancêtres ont parcourus lentement dans leur perfectionnement séculaire. L’histoire de l’évolution graduelle de l’humanité s’appelle aujourd’hui l’histoire de la civilisation. Nous pouvons donc déduire, de la loi biogénétique fondamentale, la loi psychogénétique, et la formuler ainsi : le développement intellectuel de chaque individu en particulier doit récapituler les stages historiques de la culture de l’humanité. » En d’autres termes, quiconque veut s’élever au niveau de la civilisation moderne doit revivre, en quelque sorte, les grandes époques de la vie de notre espèce, et cela suflit à justifier l’enseignement classique du gymnase, quelque réforme qu’il soit au reste désirable d’y introduire.

Telle est la thèse. J’ai le regret de ne pas la croire inattaquable. Tant que l’on reste dans la biologie pure, la loi du développement parallèle a un sens très précis ; elle porte sur des faits vérifiables, et le rapport qu’elle exprime, enfin, a son soutien dans la physiologie. En est-il de même encore, lorsque nous passons du physique au psychique ? Ne sommes-nous pas en danger de transposer le sens des mots, et de bâtir sur une simple analogie plus qu’elle ne peut tenir ? Preyer, sans doute, a emprunté à la physiologie quelques règles pédagogiques très générales ; mais elles concernent les organes et les fonctions, et il n’a pas poussé la « pédagogie physiologique » au delà du terme où ces deux mots s’accouplent naturellement. Quant à déduire d’une loi biologique un programme d’instruction, c’est une autre affaire, et, sans insister davantage sur le caractère aventureux de ce procédé, j’y vois des difficulté pratiques.

Notons d’abord une divergence capitale dans l’interprétation du principe même sur lequel M. Vaihinger s’appuie. Il invoque l’exemple des esprits les plus opposés, tels que Hegel et Auguste Comte, qui en

  1. Die neue deutsche Schule : tel est aussi le titre d’une revue mensuelle fondée par Göring pour préparer cette création, et dont il veut faire un véritable « parlement pédagogique ».