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riaux ou aux signes qui composent son vocabulaire. Quels sont ces matériaux ou ces signes ? Les formes, les mouvements, les gestes, les attitudes du corps, le jeu de la physionomie, etc. Tous ces signes séparés ou dans leur ensemble manifestent les divers étais, sentiments, passions de l’âme, qui se traduisent ainsi au dehors comme en un vivant tableau. Or, ce langage naturel qui s’adresse aux yeux, si on le considère seul, séparé de la parole et du chant, dans ce que par lui-même il exprime, on verra qu’il est très borné. Il l’est surtout comme mode de représentation de la pensée.

Sous ce rapport, il est excessivement pauvre, indéterminé, équivoque même. Il représente bien les situations générales de l’âme, mais il est incapable de les analyser. Il ne peut exprimer une seule pensée avec la clarté précise qui est nécessaire pour que l’esprit la comprenne. Les sourds-muets en sont un exemple frappant.

Allié à la parole, il fait merveille. Séparé d’elle, il ne peut la suppléer. Il l’accompagne dans sa marche successive, il la renforce, la répercute et la transpose, si l’on veut ; il la rend presque visible dans ses mouvements les plus variés et ses nuances les plus délicates. Mais, je le répète, seule et par elle-même, la mimique ne peut exprimer les idées, les actes intérieurs de l’esprit. Toutes ses opérations lui échappent. Sous ce rapport son impuissance est radicale et manifeste.

C’est le langage de la passion et du sentiment, nous dit-on. Sans doute et c’est pour cela qu’il n’est pas celui de l’intelligence et de la pensée. Exprimer des idées, les actes de l’esprit, les opérations de l’intellect, les noter, les fixer, les décomposer, démêler et dérouler sous nos yeux toute cette trame des conceptions de l’intelligence et du raisonnement, traduire clairement les actes de la volonté qui s’y joignent ou les suivent, il ne le peut. Tout cela est exclusivement du ressort de la parole ou du discours.

Ce langage, le langage d’action ou de la mimique, est commun à l’homme et à l’animal. L’homme, il est vrai, le parle supérieurement ; il peut le rendre artificiel, le simuler, le modifier, le varier, le perfectionner ; mais il ne saurait lui faire rendre plus qu’il ne peut donner, lui faire franchir les étroites limites qu’il est incapable de dépasser.

On a beau le vanter, le comparer à un autre langage, au langage véritable, on n’aboutit qu’à des analogies forcées, à de pures métaphores ou à des hyperboles. La comparaison devient même, si on la pousse un peu loin, ridicule.

Faut-il prendre au sérieux ce que dit Cassiodore de la mimique, qu’elle est une musique muette, qu’elle parle la bouche fermée, ore clauso loquitur, qu’elle représente mieux par les gestes ce que